Dans un contexte où la mode peut difficilement communiquer sans le Body Positivisme, Ester Manas s’impose comme la nouvelle référence inclusive et couture. Rencontre.
Des études à la très réputée école bruxelloise de La Cambre, un passage par le festival de Hyères et le prix du concours Galeries Lafayette en poche, le duo formé par Ester Manas et son acolyte Balthazar Delepierre enchaîne les succès.
L’inspiration ? Margiela, évidemment. Le propos ? Des pièces en taille unique, capables d’aller aussi bien en 34 qu’en 52. La punchline ? Make Fashion Big Again. Rafraîchissant, beau et éminemment nécessaire. Préparez-vous, Bruxelles arrive.
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Comment a débuté votre aventure ?
Je suis française, mais j’habite à Bruxelles depuis maintenant huit ans. J’ai étudié le graphisme à La Cambre, avant de décider de tenter le concours en mode. A la fin de mon cursus, j’ai produit ma collection de diplôme nommée « Big Again », pour toutes les femmes, qui a constitué l’ADN de la marque. J’ai toujours eu cette volonté de questionner l’existence de diktats : pourquoi seulement des tailles 34, 36, 38 ? Pourquoi ne pas représenter le reste ? L’école ne fournissait que des Stockmans en taille 38, ce qui limitait le champ des possibles. J’ai donc mis sur pause ces interrogations avant de signer une collection reprenait cette première idée.
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Qu’est-ce qui a motivé cette envie de créer des vêtements capables de convenir à tous les types de corps ?
Je fais un 44. Forcément, je constate depuis longtemps qu’il est compliqué de trouver des propositions fortes, inclusives et généreuses. Chaque passage dans une boutique s’apparente à une forme d’humiliation. Cette année, j’étais à Hyères pour le festival et j’avais envie d’être bien habillée. Il a commencé à pleuvoir. J’ai dû rapidement trouver une tenue de rechange, sauf qu’aucun magasin ne répondait à mes attentes. La situation était très gênante, émotionnellement compliquée. Tous les corps sont différents. Fine ou ronde, nous avons toutes des complexes.
https://www.instagram.com/p/B9j6lnyI4iz/
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Il existe donc une forte demande ?
Nous sommes dans un moment d’inclusivité générale. Les femmes en ont marre d’être mises dans des cages. Produire des vêtements « une taille » va avec cette idée. Il existe bien sûr des propositions correctes, mais il est assez fou de constater que nous sommes encore obligées de traverser la rue pour dénicher des vêtements capables de nous aller. C’est stigmatisant, vraiment ridicule et finalement grossophobe.
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Votre démarche s’inscrit-elle dans la mouvance Body Positive ?
D’une certaine façon, nous pouvons nous greffer à ce mouvement, mais l’idée est née bien avant. On nous demande souvent si la marque est une réponse à #MeToo et au Women Power. Pas du tout, je ne veux pas surfer sur la vague. Il se trouve simplement que la conjecture est telle que tout le monde se réveille en même temps.
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Quel regard portez-vous justement sur le #BodyPositive sur Instagram ?
Si le Body Positivisme ne s’adresse qu’à des femmes rondes, alors je n’en fais pas partie. J’ai envie que mes copines en 34 se sentent également représentées par ma marque. Récemment, je me suis retrouvée face à la photo d’une femme assez fine, soulignée de cet hashtag. Selon les commentaires, elle n’était pas légitime car pas assez « grosse ».
J’ai également l’exemple d’une amie qui taille un petit 34, et dont le rapport au corps est problématique. Ces femmes ont le droit de vouloir se rapprocher de ce mouvement si cela peut les aider. En même temps, je peux comprendre que des jeunes femmes rondes, qui avaient trouvé une forme de « team », puissent se sentir un peu spoliées.
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Qu’est-ce que cela implique, en termes de production, de produire des vêtements du 34 au 50 ?
Nous pouvons dire à nos clientes : « Le vêtement vous ira, maintenant à vous de voir s’il vous plaira ». C’est à double tranchant. A la fois, dès que l’on a compris la démarche mathématique, le résultat est génial et permet d’éviter la surproduction. Les bailleurs n’achètent pas non plus toutes les tailles, au risque de ne pas vendre et de jeter.
Admettons ensuite que nos clientes fassent une taille X lorsqu’elles achètent une pièce, elles pourront tomber enceinte, mincir, grossir, dans tous les cas, le vêtement les accompagnera et s’adaptera à leur corps.
J’ai ce souvenir d’un moment de Sex & The City, que nous avons toutes déjà vécu. Ce mythe du jean étalon que l’on regarde en se persuadant que l’on rentrera toujours dedans, comme une sorte de goal absolu. Alors que, non, nous ne devrions pas adapter aux vêtements. On ne se sépare pas de nos créations parce que notre corps change.
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Vous intégrez-vous dans une démarche slow fashion avec un souci de durabilité ?
Cet aspect est présent à chaque étape de notre concept. Avec la taille unique, nous arrivons à limiter les pertes. En termes de production, nous fabriquons à Bruxelles et nous travaillons en priorité avec des tissus issus de déstockage, justement parce que nous n’avons pas besoin de beaucoup de matière.
Nous savons au début du showroom que nous arriverons à produire 25 robes et pas 26. La collection contient quelques pièces pour lesquelles nous produisons du tissu en Italie, avec du coton bio, des systèmes recyclables, et des usines capables de nous garantir une réduction de 92% d’eau par rapport à d’autres, ce qui constitue une vraie forme d’engagement.
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Comment êtes-vous parvenus à vous imposer ?
Nous avons dû faire beaucoup de pédagogie autour du fait que nous n’étions pas une marque exclusivement destinée aux rondes, mais pour toutes les femmes.
Chaque collection est un défi pour faire comprendre aux femmes que les vêtements vont pouvoir vivre et être beaux sur chaque corps.
Propos recueillis par Helena Coupette
L’interview est à retrouver dans son intégralité dans le Femmes de décembre n°209
Photographies : ©Ester Manas