Après la naissance de ses deux enfants, Emmanuelle Szerer a vu son corps changer tout comme son dressing. Cette soudaine prise de poids a complètement bouleversé ses habitudes shopping. Et parce qu’elle ne trouvait pas son bonheur dans le paysage mode de l’époque, elle a décidé de créer sa propre marque de mode inclusive, pour permettre à toutes les femmes de s’habiller avec des pièces ultraféminines et confortables, mais surtout de renouer avec un corps qu’elles ont tendance à cacher.
Comment est né Almé ?
J’ai eu deux grossesses rapprochées, j’ai pris 25 kilos après avoir accouché de ma deuxième fille. À l’époque, je faisais une taille 46 et je passais mes journées en jogging. J’étais comme coupée de mon corps. Un jour, il a fallu que je trouve des habits puisque j’allais au restaurant fêter mon anniversaire. Je n’étais pas sortie depuis pas mal de temps donc je n’avais plus aucun vêtement à ma taille. Pour y remédier, je suis donc allée dans une boutique où j’avais l’habitude d’aller. J’avais parfaitement conscience que j’avais pris du poids, je demande donc la plus grande taille. La vendeuse me donne un pantalon et je ne passe pas le genou. En sortant, la vendeuse m’a conseillé, très gentiment, d’aller dans un magasin spécialisé. Sur le moment, je n’ai pas vraiment compris, mais je me souviens que la remarque m’a marquée. J’ai tout de même suivi son conseil, je me suis rendue dans une enseigne généraliste. Là, lorsque vous rentrez, vous apercevez immédiatement les grandes têtes de chapitre : homme, femme, enfant et grande taille.
D’être associée à un nouveau genre fut très pénible. J’ai néanmoins trouvé un jeans à ma taille, mais je n’ai pas du tout ressenti la même expérience shopping que lorsque j’allais dans ma petite boutique préférée. Il fallait seulement que je trouve quelque chose à mettre, je n’ai pris aucun plaisir. Un peu désespérée, je suis ensuite passée voir ma grand-mère pour lui demander de me prêter un haut. Je lui ai emprunté une petite blouse en soie. Cette tenue m’a permis de reconnecter avec mon corps. Quelque chose s’est guéri en moi ce jour-là. J’ai compris qu’il était important de se sentir bien et belle dans son corps, peu importe la taille. De ce constat est né Almé. Je me suis décidée à créer une marque pour permettre aux femmes de vivre pleinement leur féminité.
Quel est votre parcours ? Vous avez toujours baigné dans l’univers du textile, n’est-ce pas ?
Mon père et mon grand-père sont effectivement du métier. Mais ils ont tout fait pour me décourager en me répétant sans cesse que c’était un métier très difficile. Sur leurs conseils, j’ai entamé des études de finances. J’ai été, pendant cinq ans, trader pour une banque, à Paris. Je me suis arrêtée pendant une année pour mon premier congé maternité, cela m’a permis de faire le point sur mes envies et mes attentes. En réalité, ce métier ne me correspondait pas du tout. Je rêvais d’être médecin, dans le fond j’avais besoin d’aider d’une façon ou d’une autre. J’avais besoin de me retrouver et de faire un métier qui a du sens.
Votre marque s’appelle Almé, qu’est-ce que cela signifie ?
Nous sommes deux associés, mon mari s’occupe de la partie digitale et communication. Je gère quant à moi toute la partie produit. Ce sont donc les deux premières lettres de nos deux prénoms, Larry et Emmanuelle, en miroir.
Comment fait-on une marque inclusive ?
Nous avons d’abord défini notre spectre de taille, et nous avons tout de suite fait le choix de proposer le plus de tailles possible. Les créations Almé sont disponibles du 36 au 54. Il existe évidemment quelques contraintes industrielles. Nous devons parfois faire deux patronages selon les tailles, car la gradation n’est pas la même entre le 36 et le 44 et entre le 44 et le 54. Le corps n’évolue pas homothétiquement dans ces deux spectres de taille. Il faut absolument tester les modèles dans toutes les tailles. Généralement, les marques de mode vont réaliser un prototype dans leur taille mannequin et puis elles vont ensuite décliner leurs collections. Nous sommes obligés de faire plusieurs prototypes en 36, 42 et 48, pour nous assurer qu’au porté cela fonctionne, qu’il n’y ait pas de frottement. Il y a donc quelques subtilités à intégrer lorsque l’on fait une marque inclusive.
Comment expliquez-vous qu’il y ait si peu de marques qui taillent au-delà du 44 ?
Je ne l’explique pas vraiment, mais j’ai des pistes. Je pense que nous vivons une période assez compliquée, économiquement parlant. Ce n’est pas le moment d’entreprendre des changements et de tester de nouveaux positionnements. Les marques se concentrent donc sur ce qu’elles savent faire et sur les produits qui fonctionnent. La deuxième raison, c’est que lancer une marque inclusive n’est pas chose aisée. Tous les modèles d’une collection ne montent pas en taille, certaines matières ne s’adaptent pas. Cette réalité pourrait entraîner l’arrêt de certains produits qui fonctionnent très bien. C’est très complexe. Le plus simple serait de faire une capsule grande taille, mais cela va à l’encontre du mouvement body positivisme. Je crois sincèrement que les marques sont coincées et que ce n’est pas si facile de pivoter sur la grande taille.
Vos collections sont renouvelées fréquemment, quelles sont vos inspirations ?
Pour le processus de collection, je travaille en étroite collaboration avec mon équipe. Nous faisons des brainstormings, nous partons deux jours nous isoler. Chaque personne a réfléchi en amont à ce qui l’avait inspirée lors de la saison précédente. Nous faisons ensuite un point sur nos idées. Je leur donne toujours deux directions, par exemple, sur la dernière collection je leur ai dit : « j’imagine Yves Saint Laurent qui se promène à travers les bâtiments, au style années 50, de La Grande-Motte ». Ce ne sont pas des visions produits, mais plus des idées un peu perchées.
J’ai découvert il y a peu, en rencontrant une artiste, que le terme Almé avait une signification. Les Almé étaient des muses dans l’Égypte ancienne, elles avaient pour rôle de divertir les femmes dans les hammams. Pour la collection hiver, c’est une piste artistique que nous allons travailler. Mon équipe n’a pas travaillé dans la grande taille, mais dans la mode. Il est hors de question de faire des pièces qui cachent les formes. Nous partons des couleurs, des coupes que nous aimons. La taille est seulement un paramètre, au même titre que la matière.
Est-ce que vous avez une pièce préférée dans votre future collection ?
Il y a des maillots de bain qui vont sortir cet été. Nous avons travaillé sur une toute nouvelle ligne, nous allons lancer une quinzaine de pièces. Je suis vraiment fan de cette collection qui va arriver.
Vous êtes restés longtemps exclusivement en format digital, à quel moment avez-vous eu envie de connecter avec vos clientes ?
Nous avons testé l’expérience en boutique dans des corners au Printemps et aux Galeries Lafayette. Le projet de cette année est d’ouvrir notre propre magasin éphémère, sur un mois. Nous l’avons projeté sur le dernier semestre de l’année, car nous voulons vraiment créer une véritable expérience autour de la confiance en soi. Nous savons que lorsque les femmes commandent nos produits puis les reçoivent, il y a vraiment quelque chose de magique qui se passe quand elles les enfilent. Nous arrivons à le faire de façon digitale et nous aimerions le transposer en magasin. Nous sommes réellement en train de travailler sur une boutique expérientielle, qui ne soit pas forcément liée au textile. Nous prenons donc le temps de travailler à fond sur le projet pour qu’il soit le plus abouti possible.
En sublimant tous les corps et en diffusant un message de confiance et d’acceptation de soi, Almé est devenue plus qu’une simple marque de mode…
J’aime bien citer Enora Malagré, qui souffre d’endométriose et qui a pris beaucoup de poids à cause de son traitement. À chaque fois qu’on lui fait remarquer sa prise de poids, cela la ramène à sa maladie et au fait qu’elle ne pourra sans doute jamais avoir d’enfant. Lorsque nous nous sommes rencontrées, elle a essayé quelques pièces et elle m’a dit « Almé, pour moi, c’est un médicament. Vos vêtements ont un certain pouvoir de guérison sur moi ». C’est à ce moment-là que j’ai compris, cela faisait 15 ans que je rêvais d’être médecin et quelque part j’arrivais à guérir. J’aime comparer les petits colis que nous envoyons à des totems de confiance en soi. Je crois sincèrement qu’enfiler un vêtement Almé, ce n’est pas seulement s’habiller, c’est renouer avec son corps. Cela permet de se sentir bien dans ses baskets, d’avancer dans la vie, de ne pas broyer du noir et d’avoir des vêtements confortables, mais qui restent ultraféminins.
Justement, quelle relation vous unit avec vos clientes ?
Il y a énormément de points de contact avec la communauté Almé, incarnés par des commentaires Instagram, des mails, des messages. C’est une communauté qui est très mobilisée et qui nous envoie beaucoup d’amour. Elle est très reconnaissante de notre travail et de notre combat. Cela donne du sens à ce que nous faisons quotidiennement. Il y a un cercle vertueux assez incroyable qui s’est créé. Cette communauté va aussi nous challenger sur des couleurs, des matières. Nous interagissons énormément avec elle. Nous sommes très tournés vers l’expérience client.
Avez-vous une figure féminine qui vous inspire ?
Je dirais ma grand-mère. Elle a traversé deux guerres, elle a toujours été élégante en portant un détail très classe. Elle m’a appris ce que la prestance voulait dire, c’est d’être habillé en circonstance. Il faut avoir la juste valeur de notre tenue pour avoir un petit détail qui fait mouche, sans jamais en faire trop. Elle a bâti une entreprise avec mon grand-père en partant de rien. Sa résilience fait sa grande force et elle a réussi à me la transmettre. Elle m’inspire beaucoup. Elle regarde régulièrement nos nouvelles sorties et elle a toujours un petit mot à nous dire qui est hyper pertinent.