Emmanuelle Khanh, qui fait partie des premières stylistes à avoir lancé le prêt-à-porter, est décédée vendredi matin à l’âge de 79 ans.
En octobre dernier, nous l’avions rencontrée alors qu’elle mettait en vente une partie de ses archives personnelles au Salon du Vintage, à Paris. L’occasion de revenir sur sa carrière, et de nous donner son point de vue sur la mode actuelle. Extraits.
En tant que pionnière du prêt-à-porter, vous avez participé à la libération du corps de la femme. Il y a désormais peu de tabous sur le sujet. Est-il encore possible de révolutionner la mode?
On a peut-être eu la chance de sortir d’une guerre. Il n’y avait rien, et donc tout ce qu’on faisait c’était nouveau. Aujourd’hui, pour faire du nouveau on montre tout sans aucune retenue, ce n’est pas joyeux.
Est-ce que cela signifie qu’il faut forcément faire de l’extravagant pour marquer les esprits aujourd’hui?
Ça marche en tous cas. Je regarde très peu les magazines et les défilés, je préfère regarder la rue. Mais on est dans une époque où on ne se souvient plus de ce qui est passé sur le podium, on se souvient de la déco la plus extravagante et de la plus chère au monde. C’est quand même curieux. Plus on fait voir qu’on a les moyens, plus les gens sont en extase. C’est un autre monde. Personnellement, j’ai toujours fait les choses pour m’amuser et je me suis toujours entourée de gens avec qui j’aimais travailler.
Quel regard portez-vous sur la mode actuelle?
Je trouve que la rue n’est pas joyeuse. Elle est devenue américaine, avec uniquement des jeans, des T-shirts et des baskets. C’est très uniforme. Les femmes ne pensent plus à elles en s’habillant, elles pensent au côté pratique. Elles ne pensent plus à se faire belles, elles pensent à être dans la norme. Elles ne cherchent pas à sortir du lot. C’est dommage. En plus, comme je le dis toujours, les années 60-70 c’était du vrai prêt-à-porter, les années 80-90 cela a été du prêt-à-montrer, et les années 2000 c’est du prêt-à-jeter. Maintenant, il y a des créations à droite et à gauche, mais cela ne dure pas. On achète un vêtement tout en sachant que dans six mois on ne le mettra plus.
Est-ce que des créateurs arrivent quand même à vous surprendre?
Je ne suis plus vraiment au courant de ce qu’il se passe, ça ne m’amuse plus. Le dernier qui m’a amusée et qui est extravagant, talentueux et plein d’humour, c’est John Galliano. En tant que femme et créatrice, il me surprenait.
Qu’est-ce que ça fait d’être indémodable, de traverser les époques?
Ça peut s’expliquer par le fait que j’ai toujours cherché à habiller des femmes en ne pensant à rien d’autre. L’idée essentielle restait toujours la femme. Les modes m’ennuient, les femmes me passionnent. Habiller des femmes avec différents tempéraments et différentes cultures, c’est passionnant.
Plus de 50 ans après avoir débuté dans la mode, avez-vous des regrets?
Oui, j’ai fait un parfum qui n’a jamais vu le jour et je trouve cela dommage. Et puis, forcément, je regrette d’avoir perdu ma marque, mais c’est comme cela et aujourd’hui tout va bien.