Après plus de 20 ans d’existence, le Festival Passages se positionne aujourd’hui comme une véritable institution dans le paysage théâtral du Grand Est mais aussi et surtout à l’international. Car les préoccupations d’un tel festival se placent principalement au niveau de la découverte des multitudes de formes que peut prendre le spectacle vivant dans le monde.
Des façons de faire, de dire, de montrer le théâtre, le cirque ou la danse, Passages remplit une mission : celle de réunir les formes, leurs acteurs et leurs publics. Les théâtres de notre planète ont leur rendez-vous et il est donné cette année du 1er au 9 juin, à Metz, autour des Ecoles de Passages.
Le Festival Passages
« Ce seront des rencontres entre des artistes qui ne se connaissent pas et un public qui ne connait pas ces artistes » Charles Tordjman et Jean Pierre Thibaudat en 1996
Le Festival Passages est né en 1996, à l’Est de la France, en Lorraine. Inspiré par le l’idée de créer des rencontres autour du théâtre, Charles Tordjman et Jean Pierre Thibaudat, les initiateurs du festival, n’avaient alors qu’une seule ligne directrice en tête, celle de créer des ponts, de frayer des passages. Il s’agissait de construire les chemins vers d’autres théâtres. L’idée dominante semblait être une découverte de nouvelles façons de penser le théâtre dans un monde qui commençait déjà sa lente et douce descente aux enfers. « Nous étions avant tout curieux d’aller là-bas, “de l’autre côté“ de ce qui nous séparait de cette autre Europe avec cette certitude qu’il valait mieux trinquer et apprendre vite les mots “à la votre“ plutôt que ceux de “guerre froide“ ou de “nous, en Occident…“ Passages était et reste cette utopie. »
Le nom est venu naturellement. Simplement dans le pur respect des ambitions de départ. Les Passages engendrent des rencontres, les rencontrent proposent des partages.
Par la richesse des créations qui sont proposés, par l’ensemble des personnes qui s’y côtoient, l’initiative a très vite pris des allures de festival, pour s’imposer aujourd’hui comme une manifestation référence et unique dans le genre.
Les Ecoles de Passages
Edition « bis » d’un festival à l’ampleur mondiale, Les Ecoles de Passages se veut Festival International de la jeune création. A l’initiative de l’actuel directeur artistique Hocine Chabira, cet « entre deux » tend à faire découvrir « ces maisons qui, à travers le monde, forment les artistes de demain ».
L’affiche engage le débat. Un « cri ». Celui d’une femme, enveloppée dans un costume rose bouffant, bordélique sans qu’on le lui reproche, bien au contraire : plein de perspectives. « Un bonbon rose », l’une des images du spectacle du tunisien Aymen Mejri, Les Enfants Perdus, prend lieu et place de porte drapeau de cette édition « étudiante ». Une image forte, issue d’un spectacle de la toute jeune Ecole de l’Acteur fondée au sein du Théâtre National Tunisien par Fadhel Jaïbi. Et quoi de plus percutant qu’un théâtre né post Printemps Arabe, pour tenir le propos.
Hocine Chabira a, on le sait maintenant depuis l’édition passée, un fort penchant pour les programmations « engagées » ou en tout cas, qui force la réflexion. Un positionnement plutôt cohérent qui révèle finalement quelques failles mais qui propose à 125 jeunes, « étudiants professionnels », de venir pendant une semaine montrer et débattre de leur travail.
« Je voulais une école d’Afrique », annonce le directeur artistique du Festival à quelques pas de nous dévoiler la programmation de ces « Ecoles ». C’est ainsi que l’Ecole Supérieure de Théâtre Jean-Pierre Guingané du Centre de formation et recherche en arts vivants (CFRAV) de Ouagadougou prend place dans la programmation. Ses jeunes élèves seront entourés de ceux du Théâtre National de Strasbourg, de l’Ecole Supérieure Nationale des Arts de la Marionnette de Charleville Mézières, du Centre National des Arts du Cirque de Châlons-en-Champagne, de l’Ecole de l’Acteur du Théâtre National de Tunis et de l’immense Ecole de Dramaturgie de Nikolaï Kolyada à Ekaterinbourg en Russie.
Six écoles, pour six spectacles aux propositions fortes, critiques et aux discours actuels. De Atelier 29 mis en scène par Mathurin Bolze (Centre National des Arts du Cirque) entre équilibre et déséquilibre ; à Destination Boribana mis en scène par Souleymane Sow (Ecole Supérieure de Théâtre Jean-Pierre Guingané) où, « des jeunes africains sont candidats à l’émigration clandestine » ; en passant par Les Enfants Perdus mis en scène par Aymen Mejri (Ecole de l’Acteur du Théâtre National de Tunis) où, « dans un monde, un futur lointain, cinq jeunes décident de faire partie des derniers hommes libres de la terre » ; ou encore le magnifique bordel de Galateïa Sobakina mis en scène par Irina Vasskovskaïa (Ecole de Dramaturgie de Nikolaï Kolyada) où l’on parle « d’un monde où gouvernent des éducateurs, dont les armes ne sont pas des instruments de tortures mais la Culture » ; Musique de Tables par Thierry De Mey (TNS) ; et Le Cercle de Craie Caucasien mis en scène par Bérangère Vantusso (Ecole Supérieure Nationale des Arts de la Marionnette) où, « tout commence dans les ruines d’un village bombardé du Caucase »… Le ton est donné pour ces Ecoles de Passages 2018. Le moi de mai va être long avant de se régaler de cette programmation aussi ambitieuse qu’originale.
En sus, intégrés au 9 jours de festival, les élèves des conservatoires de Metz et Nancy et quelques acteurs locaux dont les Compagnies Roland Furieux et Pardès Rimonim, ont été invités à participer à l’événement. Une scène régionale représentée par les spectacles : Titre Provisoire de Veronika Mabardi sous la direction de Vincent Goethals et Laetitia Pitz (Conservatoires de Metz et Nancy), Love and money mis en scène par Guillaume Cabrera (Conservatoire de Nancy), A Travers les Mailles par la Cie Roland Furieux (Ecole Nationale d’Art de Lorraine), Qui me Comprend ? par la Cie Pardès Rimonim (Atelier El Warsha). Une maigre pitance pour la scène locale, et les jeunes préprofessionnels de la région qui, même ici, ont du mal à trouver en crédibilité.
Sans valoriser les parcours universitaires ou même autodidactes de certains artistes de scène aux travaux impeccables, la prise de risque de cette édition est plutôt minime, une façon, certes, d’assurer qualité et cohérence artistique. Mais l’ambition de ne valoriser qu’une unique forme de parcours artistique nous inquiète. Et même si cette édition, de par la qualité de ce qu’elle propose, force le déplacement, on regrette presque cette direction « écoles professionnalisantes » qui nous rappelle qu’il est encore difficile aujourd’hui de concevoir que le théâtre vient aussi de l’école de la vie.