Par Karine Sitarz
C’est une femme qui prendra les rênes du CHL au printemps prochain. Y ayant fait toute sa carrière, le Dr. Martine Goergen connaît bien l’établissement. Le travail est colossal, la fonction prestigieuse. Mais pour elle, il faut rester humble et continuer à apprendre de tous. Elle parle de ses priorités à l’hôpital tout en évoquant ses passions, le sport, la philosophie, la mode et surtout son besoin de contact humain et social. Rencontre avec une femme élégante et chaleureuse au Café Amore.
En mars 2024, vous deviendrez la première femme à occuper le poste de Directeur général du Centre Hospitalier de Luxembourg, plus gros établissement du pays.
Effectivement, le CHL emploie quelque 2700 personnes, c’est le onzième plus gros employeur du Luxembourg, la première entreprise de cette taille qui aura une femme à sa direction. C’est une belle reconnaissance de mon parcours. J’ai commencé au CHL en 2001 comme chirurgienne viscérale, suis passée cheffe de département en 2009 avant de devenir Directeur médical en 2017. Je suis préparée pour mon nouveau poste, j’ai notamment suivi une formation diplômante de deux ans en management à Sciences Po Paris, obtenue en 2022.
Où avez-vous grandi ? Quelle jeune fille étiez-vous ? D’où vient votre goût pour la médecine ?
Je suis une fille de la Moselle entourée d’une famille de vignerons. Il n’y avait pas de médecin dans la famille. Jeune, je m’intéressais à la biologie, je voulais devenir vétérinaire, mais la découverte de la génétique et l’inspiration d’un de mes professeurs au Lycée Michel Rodange m’ont amenée à la médecine. J’ai choisi l’Université Libre de Bruxelles. Il n’y avait pas que la médecine, j’ai fait du piano jusqu’à 18 ans et puis j’ai toujours aimé les bijoux et la mode, aujourd’hui encore, en particulier les créations des stylistes Rick Owens et Yohji Yamamoto.
Qu’est-ce qui pousse une jeune femme à se spécialiser en chirurgie viscérale ?
Quand j’ai fait mes premiers stages, il a été tout à coup clair que je m’orienterais vers la chirurgie. A l’époque, en 1992, il n’y avait pas beaucoup de femmes chirurgiens. Et si je me suis spécialisée en chirurgie viscérale, une chirurgie lourde avec beaucoup d’urgences, c’est pour sa double approche à la fois intellectuelle et manuelle. Il faut prendre rapidement les décisions et l’on voit tout de suite les résultats. J’ai fait ma spécialisation en partie à Bruxelles et ai passé un an à l’hôpital 12 de Octubre à Madrid où j’ai fait de la transplantation hépatique puis un an à l’hôpital Beaujon à Paris où je me suis aussi occupée de chirurgie hépatique. J’ai terminé ma formation en 1998 à Bruxelles et suis revenue au pays.
Qu’est-ce qui vous a amenée au CHL et à y rester ?
Le CHL est, par son statut, l’hôpital qui ressemble le plus à un hôpital universitaire. J’ai pu y développer de nouvelles formes de prises en charge. Dès mon arrivée, je me suis occupée entre autres de chirurgie de l’obésité même si la clinique de l’obésité que j’ai créée n’a elle ouvert qu’en 2009. Aujourd’hui, la clinique reçoit quelque 1000 patients par an avec une prise en charge pluridisciplinaire. 20% des personnes sont opérées, les autres ont des prises en charge médicales.
Vous avez aussi contribué au développement de la chirurgie mini-invasive…
Je suis « née à la chirurgie » avec cette chirurgie mini-invasive, dans les années 1990. J’ai vraiment baigné dedans et cela m’a toujours tenu à cœur le fait que la chirurgie nuise le moins possible. A la direction médicale du CHL, je me suis ainsi engagée pour l’implémentation de la chirurgie robotique.
Continuerez-vous vos activités de chirurgienne ?
Actuellement, j’ai deux matinées de chirurgie et une matinée de consultations. Après le 1er mars, j’aimerais garder une activité clinique, mais je ne sais ce qui sera possible.
Au cours de votre parcours, avez-vous eu des obstacles en tant que femme ?
J’ai toujours eu la chance d’avoir de bons patrons et n’ai jamais rencontré d’obstacles, ni ici ni ailleurs. Mais il faut travailler « comme un homme », ce qui veut dire ne pas revendiquer d’être traité comme tel et agir différemment…
Directeur général du CHL, quelles seront vos priorités ?
Ce qui m’importe avant tout c’est le patient, sa prise en charge, toujours à améliorer. Il y a aussi les grands projets à suivre : le nouveau CHL qui ouvrira en 2028 et le projet d’une nouvelle Kannerklinik prévue pour 2035. Par ailleurs, comme on est un hôpital public avec des médecins salariés, il faut veiller à notre attractivité, ce qui n’est pas évident, surtout en cas de pénurie de médecins. Il faut qu’on voit nos avantages, recherche, enseignement… Pour certaines spécialités, comme l’anesthésie ou la radiologie, très bien rémunérées dans le libéral, il est difficile de convaincre avec notre « système solidaire ». Mais on a de nombreux services nationaux, comme la neurochirurgie, la pédiatrie et l’immuno-allergologie, avec une masse critique et de vrais moyens, c’est ce qu’il faut pérenniser, car c’est ce qui attire.
Avec un emploi du temps si chargé, trouvez-vous le temps pour la famille, les hobbys, d’autres engagements ?
Comme mon mari est chirurgien, on a le même train de vie, ça aide et puis il cuisine pour moi quand je rentre tard (rires). Mon fils, lui, est grand, il a 23 ans. Côté hobbys, je fais du sport – crossfit, course, musculation en salle – cela me ressource. Et le dimanche, je lis. J’aime tout particulièrement la philosophie, elle me fait avancer personnellement et nourrit mon regard sur les autres. Côté engagement, je suis administratrice de la Fondation Kriibskrank Kanner et de la Chaîne de l’Espoir.
Questions à la volée
Un musicien : David Bowie, sa musique m’a toujours fascinée de même que son look toujours un peu excentrique.
Une personnalité : Angela Merkel, sans juger sa politique, en tant que femme humble au pouvoir dans un grand pays.
Une destination : Pour me ressourcer, j’aime revenir aux mêmes endroits, depuis une dizaine d’années à Cadix l’été, en Autriche l’hiver pour le ski.
Une philosophie de vie : La tolérance, la curiosité et l’ouverture à l’autre.