Violoniste de formation, Dominique Poppe est l’une des fondatrices de l’Orchestre de Chambre du Luxembourg (OCL), qui célèbre ce mois-ci son 50e anniversaire. Figure essentielle et inspirante de la scène musicale grand-ducale, elle revient sur une aventure commencée dans l’enfance, portée par l’amitié, la passion et l’audace. Toujours sur scène, elle partage avec générosité sa vision du métier, son engagement auprès des jeunes talents, et son attachement à un orchestre en quête de perpétuelle réinvention et de connexion avec le public.

Rédaction : Alina Golovkova / Photos : Bohumil Kostohryz

Vous êtes l’une des fondatrices de l’Orchestre de Chambre du Luxembourg. Comment cette aventure a-t-elle commencé ?

Tout a commencé très tôt, à l’école primaire. Anne, Françoise et moi étions amies, passionnées de musique, et nous jouions déjà ensemble pour des messes, des mariages, des baptêmes… Le papa d’Anne et Françoise, Monsieur Groben, était notre mentor. Il nous emmenait sur des petits projets, et mon propre père, contrebassiste à RTL, nous faisait travailler la musique de chambre. En 1974, on a donné notre tout premier concert, dans une petite église de la Moselle, à Ehnen.

Rang 3 : Cary Greisch, Marc Jacoby, Carlo Hommel, Gast Waltzing.
Rang 2 : Mariette Leners, Anne Groben (violon), Martine Dumont, Gerry Welter, Maggy Dumont, Guy Goethals, Nico Winandy, Monique Hamer, Françoise Groben (violoncelle).
Rang 1 : Carole Bauer, Dominique Poppe (violon), Marie-France Christen.

Vous avez donc grandi dans un environnement très musical ?

Oui. Mes deux parents étaient musiciens, et dès mon plus jeune âge, j’assistais à des répétitions. J’ai commencé le violon à six ans, sans vraiment savoir pourquoi : c’était instinctif. Je n’ai jamais voulu faire autre chose. Je me suis donné les moyens d’en faire ma vie.

Ce choix implique une discipline importante dès l’enfance. Comment l’avez-vous vécue ?

C’est vrai, ce n’est pas un hobby. Il faut de la régularité, de la rigueur. Quand les copains sortaient, moi je répétais. Mais le plaisir était là, toujours. Comme pour tout apprentissage exigeant, il y a des hauts et des bas. Il faut une hygiène de travail, un cadre, et c’est aux parents de l’instaurer.

La musique classique n’est pas réservée à une élite. C’est une expérience à vivre

– Dominique Poppe, co-fondatrice de l’Orchestre de Chambre de Luxembourg

Vous êtes restée fidèle à votre instrument, au sein d’un même orchestre. Quelle est la force de ce lien avec l’OCL ?

On a grandi ensemble. L’orchestre s’est professionnalisé, a changé de nom, de forme, mais il a toujours gardé une âme collective. L’esprit d’équipe, la bienveillance, l’envie de créer ensemble sont restés. Cela a attiré des musiciens de talent, mais sur-tout des gens avec qui on aimait travailler.

L’OCL se distingue par des projets très originaux. Pourquoi cette volonté de se réinventer ?

Le Luxembourg n’est pas immense, il faut trouver sa singularité. On a lancé très tôt des concepts innovants : les Cycles de connaissance, dans les années 1980, qui mêlaient concerts, patrimoine et visites culturelles, ont marqué des générations de spectateurs. Aujourd’hui, nous poursuivons cette démarche avec des formats immersifs comme les concerts 360°, où le spectateur est plongé au cœur de l’orchestre, ou encore avec Chef meets Chef, un projet qui met en scène la rencontre entre un chef d’orchestre et un chef d’un autre univers – cuisine, cinéma, architecture… Chaque concert devient ainsi une expérience sensorielle et humaine, où deux mondes dialoguent en musique.

Comment entretenez-vous le lien avec le public, dans un monde où l’attention est de plus en plus volatile ?

Il faut capter l’intérêt différemment. À la Philharmonie, nous avons choisi le dimanche à 17h30 pour permettre aux familles de venir. Nous travaillons aussi avec les écoles, comme l’ISL : les enfants assistent aux répétitions et reviennent ensuite en famille pour les concerts. Cela crée une continuité, une fidélisation douce et naturelle. On veut que les jeunes aient du plaisir à venir.

« Il faut être curieux et il faut y aller. Si ça ne plaît pas, ce n’est pas grave. Mais il faut oser franchir la porte. »

– Dominique Poppe, co-fondatrice de l’Orchestre de Chambre de Luxembourg

Vous êtes aussi très engagée dans la transmission. Pouvez – vous nous parler du Prix Anne & Françoise Groben ?

Ce prix rend hommage à mes amies cofondatrices, aujourd’hui disparues. Il s’adresse aux jeunes musiciens ayant étudié au Luxembourg. Tous les instruments sont représentés. Le dernier lauréat, Matis Grisó, violoncelliste, jouera avec nous pour le concert des 50 ans de l’orchestre (ndlr : le 15 mai 2025). Le prix, doté de 10 000 euros, est financé par l’Œuvre nationale de secours de la Grande-Duchesse Charlotte. Il permet un vrai tremplin vers la scène professionnelle.

Avez-vous été confrontée, en tant que femme, à des obstacles dans votre carrière ?

Franchement, non. Nous étions trois jeunes filles, mais très bien entourées. Il y avait beaucoup de bienveillance. J’ai aussi été professeure pendant 40 ans, et je n’ai jamais ressenti de discrimination liée à mon genre. J’ai eu beaucoup de chance.

Aujourd’hui, avez-vous le sentiment d’avoir accompli tous vos rêves ?

J’ai encore plein d’envies. Je suis curieuse, j’aime découvrir de nouveaux chefs, de nouveaux lieux. Je n’ai jamais été fixée sur une scène en particulier. Ce que je cherche, ce sont les rencontres, les projets, les expériences.

Et en dehors de la musique, où puisez – vous votre inspiration ?

Ma famille est essentielle. Mon mari est musicien, mon fils aussi. Ma fille est kiné, spécialisée pour les musiciens ! (rires) Et puis, il y a la mer. Regarder la mer me ressource. C’est un moment presque méditatif.

Un dernier mot pour ceux qui n’osent pas encore franchir les portes d’un concert de musique classique ?

Qu’ils viennent ! Il ne faut pas croire que ce monde est réservé à une élite. La musique classique, c’est comme un bon plat qu’on n’a jamais goûté. Il faut essayer. Si on n’aime pas, tant pis. Mais souvent, on est surpris. Et nous, à l’OCL, on essaie justement d’ouvrir ces portes autrement, sans trahir la musique, mais en créant de nouveaux ponts.

À ne pas manquer : Les temps forts de la saison 2025-2026 de l’OCL

L’Orchestre de Chambre du Luxembourg poursuit sa quête d’émotions inédites avec deux rendez-vous phares cet automne :

  • 7 OCTOBRE – CASSER LES MURS : Un concert d’ouverture sous le signe de l’audace, avec le violoncelliste Johannes Moser en soliste et le chef Mateusz Moleda à la baguette. Une soirée prometteuse qui bouscule les frontières musicales.
  • 21 OCTOBRE – CHEF MEETS CHEF NATURE : Une rencontre singulière entre le chef d’orchestre Joolz Gale et le jardinier-paysagiste Pascal Garbe, autour d’un programme où musique et nature se répondent en écho. Un concert-concept immersif à vivre comme une promenade sensorielle.

Interview initialement publiée dans le Femmes Magazine numéro 266 de mai 2025.