« J’ai commencé ma vie dans l’horreur et je la termine dans le désespoir », avait-elle déclaré, en 2002, devant le cercueil de son fils. Femme de tous les combats, incarnation de l’espoir le plus pur et pierre angulaire de trois des plus grands combats du XXe siècle, Simone Veil a fermé ses grands yeux bleus à l’âge de 89 ans.
Née en 1927, un 13 juillet, à Nice dans une famille juive aisée, d’un père architecte qui l’adorait et qui revendiquait haut et fort son appartenance à la communauté juive pour des raisons culturelles, elle avait connu l’enfer des camps. En 1944, sa famille est contrôlée puis déportée à Auschwitz. Elle échappe de peu aux chambres à gaz, grâce aux paroles d’un déporté qui lui conseille de mentir sur son âge. Elle fera partie des rares Juifs à avoir survécu, avec ses deux sœurs Madeleine et Denise. Sa mère succombera au typhus, et elle ne connaîtra jamais la date exacte ni les conditions dans lesquelles son père et son frère mourront.
De son statut de survivante – dont elle gardera en souvenir le matricule tatoué sur le bras gauche – en découlera un instinct de vie très fort et une exigence qu’elle appliquera à tous les pans de sa vie. « Les enfants, le travail, la politique, elle a tout fait comme si elle défiait la mort. (…) Elle voulait être exemplaire », dit d’elle Françoise de Panafieu, ancienne députée UMP.
C’est avec la même verve, le même instinct de vie qu’elle se lance dans un combat d’une violence inouïe pour légaliser l’avortement, alors que Jacques Chirac, Premier ministre sous Valéry Giscard D’Estaing, lui confie le ministère de la Santé. Le planning familial commençait alors à pratiquer l’avortement de manière clandestine. Il fallait agir vite. C’est devant une Assemblée nationale dans laquelle neuf femmes siégeaient (contre 481 hommes) qu’elle a prononcé le discours qui la fait entrer dans l’Histoire. « Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les 300 000 avortements qui, chaque année, mutilent les femmes de ce pays, qui bafouent nos lois et qui humilient ou traumatisent celles qui y ont recours. (…) Je ne suis pas de ceux et de celles qui redoutent l’avenir. Les jeunes générations nous surprennent parfois en ce qu’elles diffèrent de nous ; nous les avons nous-mêmes élevées de façon différente de celle dont nous l’avons été. Mais cette jeunesse est courageuse, capable d’enthousiasme et de sacrifices comme les autres. Sachons lui faire confiance pour conserver à la vie sa valeur suprême. » Elle fait face à des réactions d’une violence incroyable. L’hémicycle se mue en une arène dans laquelle les insultes pleuvent, et vont jusqu’à l’antisémitisme, dans la bouche des députés d’extrême droite, farouchement opposés à cette loi. S’en suivent trois jours et deux nuits de débats musclés dont elle finira par sortir la tête haute, fière et victorieuse, malgré les larmes. L’avortement est légalisé. Nous sommes le 26 novembre 1974.
Mais les droits des femmes ne sont pas sa seule lutte : elle milite également pour la Paix, et s’engage ensuite dans la réconciliation européenne, en devenant la première femme à présider le Parlement Européen.
Elle revient au gouvernement en 1993, sous Balladur, retrouvant son siège de ministre de la Santé. Puis, en 1997, elle est nommée pour 10 ans au Conseil Constitutionnel. Si elle s’éloigne petit à petit de la scène politique, elle poursuit son combat pour le devoir de mémoire, et devient, en 2000, présidente d’honneur de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.
De sa vie, exemplaire, faite des drames, de grandes désespérances et de belles victoires, l’icône de la lutte pour les droits des femmes en fait un récit, qui paraît en 2007 sous le titre Une Vie et dans lequel elle couche ses mémoires.
Pionnière dans la lutte en faveur de l’égalité des sexes, Simone Veil incarne pour toute une génération prête à marcher dans ses pas un idéal. Contactée à ce sujet, Ainhoa Achutegui, présidente du Planning Familial à Luxembourg voit en Simone Veil l’incarnation du « courage, de la dignité, de la force et de l’engagement pour l’équité entre femmes et hommes. Elle s’est battue comme une tigresse pour le droit à l’IVG et ce dans un climat hostile, dans un parlement composé surtout d’hommes à une époque où le féminisme n’était pas un mot à la mode (loin de là !). » Quant à son héritage, la présidente du Planning Familial souligne son importance, que ce soit à l’échelle française, mais surtout européenne : « L’actualité internationale, le retour de l’obscurantisme, la montée de l’extrême droite, le non-respect des droits des femmes dans le monde entier nous rappellent tous les jours que rien n’est acquis. Simone Veil nous a quitté, mais la lutte continue. Elle nous a appris qu’il ne faut jamais baisser la garde. L’actualité internationale récente nous rappelle qu’il ne faut pas baisser la garde. Simone de Beauvoir disait : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant ». Le Planning reste vigilant. Continuer à aider les femmes, à les entendre, à les écouter, à se battre pour elle, c’est le plus bel hommage que l’on puisse rendre à Simone Veil. »