Tout commence par une utopie. L’année est 1950, l’Europe panse ses plaies après la Seconde Guerre mondiale. À Majorque, sur une plage encore sauvage, Gérard Blitz plante quelques tentes de toile et crée, sans vraiment le savoir, une révolution : celle des vacances comme moment de liberté collective. Son idée est simple, mais fondatrice : offrir aux gens un lieu où ils peuvent se retrouver, se reconnecter à eux-mêmes et aux autres, loin du quotidien, dans un esprit de partage et de joie.
Photo ©Jeanne Pirrotte / Palmiye – Turquie
Le concept du « village de vacances » vient de naître. Pas d’horaires rigides, pas de hiérarchie sociale visible. Les vacanciers sont appelés les « Gentils Membres » (GM), ceux qui les encadrent sont des « Gentils Organisateurs » (GO). Dès le départ, la sémantique est une déclaration d’intention : ici, on casse les codes.
Les années Trigano : l’âge d’or d’un rêve collectif
Très vite, Gérard Blitz s’associe à un autre visionnaire, Gilbert Trigano, qui devient l’architecte du développement à grande échelle. Avec lui, le Club Med passe de la bohème aux premières structures permanentes. Il ouvre des villages en Yougoslavie, en Corse, au Maroc. Les cases en paille remplacent les tentes, mais l’esprit reste le même : minimalisme, sport, danse, convivialité.
Dans la France des Trente Glorieuses, où l’élévation du niveau de vie permet aux classes moyennes de partir pour la première fois en vacances, le Club Med devient un symbole. On y découvre le ski nautique, le tir à l’arc, le théâtre amateur, le surf. Tout est compris, tout est possible. C’est la naissance du concept de « club tout-inclus » — une invention française qui fera le tour du monde.
Le Club Med n’est pas seulement un lieu de loisirs. Il incarne un mode de vie. Les tenues sont légères, les rires nombreux, les amitiés spontanées. On y tombe amoureux aussi. Pour beaucoup, c’est le lieu des premiers voyages à l’étranger, des premières expériences de communauté.
Un modèle unique au monde
Ce qui différencie le Club Med, c’est son ADN hybride. Il n’est ni un hôtel classique, ni une colonie de vacances, ni un camp de loisirs. C’est un théâtre du bien-être. Les GO, venus des quatre coins du monde, sont à la fois animateurs, moniteurs sportifs, confidents, artistes. À la nuit tombée, ils montent sur scène pour des spectacles qui mélangent autodérision, esprit de troupe et créativité.
Dans les années 70 et 80, le Club Med devient une véritable institution. Il attire des millions de vacanciers, s’exporte aux États-Unis, au Japon, au Brésil. Plus qu’un produit touristique, c’est une marque culturelle française. Il devient même un cas d’école dans les universités de marketing : comment créer une communauté fidèle, fondée sur l’émotion et le souvenir partagé.
Des tempêtes et des virages
Mais au tournant des années 90, la machine s’enraye. Le monde change, et le Club peine à suivre. La montée du tourisme de masse, les offres low-cost, la multiplication des voyages individuels affaiblissent son modèle. L’image du GO bronzé et séducteur commence à dater. L’entreprise, cotée en Bourse depuis 1966, subit une série de pertes financières. Le Club doit fermer des villages, licencier, se recentrer.
C’est Henri Giscard d’Estaing, fils de l’ancien président, qui pilote le redressement à partir des années 2000. Il amorce un virage stratégique majeur : montée en gamme, recentrage sur les familles, ouverture aux clientèles internationales. Le Club Med vise désormais les « 4 tridents », puis « 5 tridents », en référence à ses niveaux de prestations. Finies les tentes : place aux resorts haut de gamme, au design soigné, aux clubs enfants sophistiqués.
L’internationalisation et l’ère chinoise
Le rachat du groupe en 2015 par le conglomérat chinois Fosun marque une nouvelle ère. Club Med devient une marque globale, avec un développement massif en Asie, notamment en Chine. Des villages s’ouvrent au Japon, aux Maldives, au Vietnam, à Bali, au Canada ou encore à l’île Maurice. Le Club adapte ses codes à la clientèle locale tout en gardant son esprit d’origine.
La pandémie de COVID-19, en 2020, met brutalement à l’arrêt cette dynamique. Mais dès 2022, la reprise est spectaculaire. Les voyageurs, en quête de sens et d’authenticité, redécouvrent les valeurs fondatrices du Club : l’humain, la bienveillance, la déconnexion.
L’Esprit Libre, plus vivant que jamais
En 2025, Club Med fête ses 75 ans avec une campagne hommage à son histoire et à son emblématique « Esprit Libre ». Ce n’est pas un simple slogan. C’est une philosophie née dans les dunes de Majorque, vécue dans les cases d’Agadir, partagée dans les villages enneigés de l’Alpe d’Huez ou sur les plages de Punta Cana.
Les visages ont changé, les infrastructures aussi. Mais au cœur du Club, il reste cette idée généreuse et presque naïve : les vacances peuvent être bien plus qu’une pause. Elles peuvent être une respiration, un lien, une fête. Une parenthèse enchantée, dans un monde qui en a toujours besoin.