Le fondateur de Sea Shepherd et défenseur des baleines, Paul Watson, a été arrêté par la police en juillet alors qu’il faisait escale au Groenland. Il risque 15 ans de prison s’il est extradé au Japon, qui a émis un mandat d’arrêt international à son encontre. Tokyo reproche au militant de 73 ans ses actions contre la flotte baleinière nippone, alors que l’archipel s’obstine à poursuivre la chasse aux cétacés, pourtant interdite depuis 1986.
Le 21 mai dernier, les dirigeants de la société Kyodo Senpaku affichaient leur grande fierté en présentant le Kangei Maru. Ce jour-là, ils avaient convié les médias japonais et internationaux à découvrir leur nouveau-né, amarré dans le port de Shomonoseki : « C’est un navire amiral baleinier unique qui regroupe un bateau usine et un bateau cargo », a commenté Yoshihasa Ina, un responsable de l’entreprise. Le Japon n’avait pas construit de nouveau baleinier depuis 1951 et le départ du Kangei Maru pour sa première campagne de chasse a dès lors pris un caractère d’événement national.
Le nouveau bateau usine, qui a coûté l’équivalent de 44 millions d’euros, est bien plus performant que ses prédécesseurs. D’une longueur de 113 mètres, son rayon d’action est de 13.000 kilomètres et ses congélateurs permettent de stocker jusqu’à 800 tonnes de viande. Il est équipé de drones qui peuvent parcourir 100 kilomètres pour repérer leurs proies. Navire amiral, il est accompagné de trois ou quatre bateaux harponneurs qui tuent les baleines avant de les ramener à son bord. Une fois les cadavres des cétacés hissés sur le pont inférieur, il ne faut pas plus d’une heure à une dizaine d’hommes pour découper, à l’aide de grands couteaux, 50 tonnes de viande, qui sont immédiatement conditionnées et congelées. Le bateau vise la pêche de 200 baleines au cours de sa première campagne. Pour les dirigeants de Kyodo Senpaku et les autorités nippones, le Kangei Maru est le bijou de leur flotte baleinière. Pour les défenseurs de l’environnement, c’est un bateau tueur, dont les capacités sans précédent menacent la survie de certaines espèces de cétacés. À leurs yeux, la mise à l’eau de ce nouveau navire illustre l’obsession de Tokyo à poursuivre une pratique pourtant interdite depuis 1986, quand la Commission baleinière internationale (CBI) a décrété un moratoire sur le commerce de la baleine. Le Japon, l’Islande et la Norvège sont les seuls pays à ne pas respecter cet accord multilatéral non-contraignant.
PLUS DE 5.000 BALEINES SAUVÉES
Dans la lutte entre défenseurs des mammifères marins et chasseurs de baleine, le Japon s’est trouvé un ennemi public numéro un : le capitaine Paul Watson, un activiste écologiste radical américano-canadien. À 73 ans, le fondateur de l’organisation Sea Shepherd est devenu la bête noire des flottes baleinières japonaises et, plus largement, des chasseurs de dauphins et de phoques.
Paul Watson, qui hisse un pavillon pirate à la proue de ses bateaux, symbolise mieux que quiconque la lutte pour la survie des cétacés et des océans, dont l’équilibre est notamment mis en péril par la surpêche.
Depuis les années 1980, ce marin et pionnier de la cause environnementale parcourt inlassablement les océans pour traquer les baleiniers afin d’empêcher, ou du moins freiner, leur funeste activité. Le mode d’action est aussi spectaculaire que dangereux pour lui et les militants qui l’accompagnent : avec leurs propres bateaux, ils coupent la route des baleiniers, tentent de les aborder et de les détourner de leurs proies, entravent leurs hélices avec des cordages, les aspergent de peinture et d’acide butyrique (le composant malodorant utilisé dans la confection des boules puantes). Paul Watson revendique ainsi le sauvetage de plus 5.000 baleines, de milliers de dauphins et d’autres poissons.
En 2010, Tokyo a émis un mandat d’arrêt contre lui, après une action contre un bateau harpon de la flotte japonaise, menée au cours d’une campagne antichasse par deux navires de Sea Shepherd dans l’Antarctique. La confrontation s’achève lorsque le navire japonais heurte volontairement, l’Ady Gil, un trimaran noir futuriste appartenant à Peter Bethune, un marin solitaire, qui épaule les deux bateaux de l’association.
L’incident a fait l’objet d’un épisode de la série américaine Whale Wars, dont les images peuvent être facilement consultées sur internet. À l’issue de cet incident, Paul Watson est accusé par la justice japonaise « d’obstruction forcée au commerce, d’atteinte à l’intégrité physique, d’intrusion dans un navire et de vandalisme ». Ce que récuse le défenseur de la biodiversité marine.
En 2012, le mandat d’arrêt émis par Tokyo fait l’objet d’une notice rouge d’Interpol et le marin sait dès lors qu’il risque l’arrestation et l’extradition vers le Japon depuis l’Allemagne, où il réside. Suit une rocambolesque fuite, où il rase barbe et moustache, porte une perruque et se déguise pour rejoindre Hambourg. Il y prend la mer et navigue pendant quinze mois dans les eaux internationales pour éviter l’arrestation. Il réapparaît en 2013 à Los Angeles, où il témoigne en faveur de militants écologistes devant la justice américaine. Puis, il s’installe en France où il est libre de ses mouvements, Paris ayant décidé de ne pas appliquer le mandat d’arrêt international. Il s’y marie en 2015, devient père de deux enfants, et décide désormais de se consacrer à l’écriture.
DES CHARGES DISPROPORTIONNÉES
La mise à l’eau du Kangei Maru, il y a quelques mois, a cependant réveillé le goût de l’action militante de Paul Watson. Il repart à la chasse au chasseur et entreprend de traquer le nouveau bateau usine japonais dans le Pacifique Nord. Le 21 juillet, Paul Watson est arrêté alors qu’il fait escale dans le port de Nuuk, au Groenland, territoire autonome administré par le Danemark.
Les images de l’interpellation du militant, aux allures de vieux loup de mer avec sa longue barbe blanche, menotté à bord de son bateau, font instantanément le tour du monde. Elles provoquent un élan de solidarité internationale chez les défenseurs de l’environnement. Et met sous pression la justice danoise qui doit statuer sur son extradition vers le Japon, où il risque jusqu’à 15 ans de réclusion.
Les juristes s’accordent assez unanimement à dire que les charges qui pèsent contre Paul Watson sont disproportionnées quant aux faits qui lui sont reprochés. Saisis par les avocats du fondateur de Sea Shepherd, le rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement, Michel Forst, juge son arrestation contraire au droit international, qui « interdit à tout État de persécuter ou pénaliser un défenseur de l’environnement ou de la biodiversité ».
Cette obligation contraignante a été formalisée par 39 États par l’adoption de la convention d’Aarhus, du nom de la ville… danoise où le texte a été signé en 1998. Pour nombre d’observateurs, l’arrestation de Paul Watson s’inscrit dans un processus de criminalisation accru des défenseurs de l’environnement. Qualifié d’écoterroriste par le Japon, le fondateur de Sea Shepherd, revendique une « action non-violente agressive », seule apte, à ses yeux, d’enrayer la catastrophe environnementale.
La personne de Paul Watson est l’objet de nombreuses polémiques et il est contesté jusque dans son propre camp, où d’aucuns lui reprochent sa radicalité et son exigence vis-à-vis des militants qu’il embarque dans ses campagnes. « S’ils ne sont pas prêts à mourir pour sauver des baleines, je ne les prends pas », répète-t-il dans les interviews. D’autres désapprouvent ses positions antinatalistes, Paul Watson affirmant qu’il faut réduire la population humaine à un milliard d’habitants, si elle veut échapper au désastre écologique qu’elle s’inflige à elle-même.
PAVILLON PIRATE ET PEOPLES
Quoi qu’il en soit, l’homme, qui hisse un pavillon pirate à la proue de ses bateaux, symbolise mieux que quiconque la lutte pour la survie des cétacés et des océans, dont l’équilibre est notamment mis en péril par la surpêche. Son art maîtrisé de la communication lui vaut l’appui de nombreuses célébrités, du dalaï-lama à l’acteur Pierce Brosnan, en passant par le prince de Monaco ou Pamela Anderson.
« On n’écoute pas les scientifiques sérieux. Mais on entend leur message quand il est véhiculé par des acteurs » disait Paul Watson en 2015.
Son arrestation a suscité une vague d’indignation particulièrement forte en Australie et en France, deux anciennes « puissances baleinières » devenues de farouches opposantes à la chasse. En France, l’activisme efficace de l’antenne nationale Sea Shepherd a rapidement permis de rassembler des centaines de milliers de soutiens en faveur de Paul Watson. Et il a fallu moins de trois semaines au journaliste Hugo Clément pour recueillir plus de 700.000 signatures dans une pétition demandant au président Macron d’activer tous les leviers possibles pour sa libération.
« La France intervient auprès des autorités danoises afin que Paul Watson ne soit pas extradé vers le Japon », avait déclaré l’Élysée dès le lendemain de son arrestation. De nombreuses villes françaises apportent un soutien officiel à Paul Watson, dont ils affichent le portait dans leurs rues. C’est le cas de Metz, mais aussi de Rouen, Cherbourg ou Nice. Quant au Japon, le pays n’a pas commenté l’arrestation du militant. L’affaire est profondément politique dans l’archipel, qui défend une position conservatrice sur la chasse aux cétacés. Au niveau mondial, celle-ci avait culminé dans les années 1920, quand plus de 20.000 baleines étaient exterminées par an, menaçant plusieurs espèces de disparition. Elles étaient principalement chassées pour leur viande et leur graisse, utilisée comme huile d’éclairage.
TRADITION ET SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE
Après l’adoption du moratoire sur leur commerce 1986, les populations de cétacés ont à nouveau augmenté, mais des espèces comme la baleine bleue ou le rorqual commun sont toujours menacées ou vulnérables. Dans un premier temps, le Japon avait obtenu une dérogation (comme l’Islande et la Norvège) pour continuer à chasser les baleines à des fins scientifiques. Mais le nombre élevé de cétacées – 300 à 400 – ramenés chaque année par les navires japonais laissait peu de doute sur l’objectif réel de l’opération, avant tout destinée à alimenter les tables des restaurants et les étals des marchés japonais. En 2019, Tokyo a mis fin à l’hypocrisie en claquant officiellement la porte de la CBI, alors que la chasse à la baleine avait été définitivement considérer illégale par la Cour de justice internationale.
Pour sa défense, le Japon invoque d’abord la préservation d’une tradition remontant au XIIe siècle. La même justification est brandie par l’Islande et la Norvège. Les autorités nippones mettent surtout en avant la souveraineté alimentaire du pays, dont les capacités agricoles sont limitées. Elles jouent ainsi sur une corde sensible : en 1946, le Japon, dévasté par la guerre et sous occupation américaine, avait été sauvé de la famine par son industrie de la pêche baleinière. Toute une génération avait alors grandi avec de la viande de baleine à la cantine scolaire. Sa consommation avait atteint son apogée en 1962, avec 233.000 tonnes consommées. Mais depuis, ce chiffre a drastiquement chuté, pour atteindre 2.000 tonnes en moyenne ces dernières années. Soit 1,6 gramme par habitant et par an, calculent les défenseurs des cétacés pour prouver l’absurdité de l’argument de la souveraineté alimentaire.
Mais cela n’entame pas la volonté du gouvernement japonais et des compagnies de pêche nippones. Bien au contraire : «Nous aimerions élargir la clientèle aux jeunes et aux touristes étrangers en offrant une qualité de viande de baleine différente de celle du passé», a affirmé Yoshihisa Ina, l’un des dirigeants de Kyodo Senpaku, lors du lancement du navire usine Kangei Maru. «Notre espoir est bien entendu de pêcher et préparer des baleines de gros calibre, c’est même la raison pour laquelle nous avons construit ce bateau», a-t-il précisé. Le combat de Paul Watson est loin d’être fini !
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