La bohème, Je m’voyais déjà, La Mamma, Comme ils disent... Du haut de son mètre soixante-cinq, Charles Aznavour, mort dans la nuit de dimanche à lundi à 94 ans, était le dernier “grand” de la chanson française, dont il a été l’ambassadeur à travers le monde.
“J’ai fait une carrière inespérée mais exemplaire”, avait confié le “Sinatra français”. “Tout est une question de chance”. De chance mais aussi de talent et de volonté, puisqu’il a dû lutter à ses débuts pour imposer sa taille, son physique et sa voix atypiques, avant d’arriver tout en haut de l’affiche.
“Côté critiques, j’ai été servi: on a dit que j’étais laid, petit, qu’il ne fallait pas laisser chanter les infirmes”, racontait celui que la critique anglo-saxonne avait surnommé à ses débuts “Aznovoice” (jeu de mots signifiant: il n’a pas de voix).
Charles Aznavour (de son vrai nom Aznavourian) naît à Paris d’un couple d’immigrés venus d’Arménie qui attendent un visa pour les Etats-Unis. Il gardera des liens très forts avec le pays de ses ancêtres. A ses débuts, il veut devenir comédien et fait de la figuration au théâtre et au cinéma.
Aznavour se lance dans la chanson en duo avec Pierre Roche au début des années 1940. En 1946, il rencontre Charles Trenet et Edith Piaf, qui le surnomme “le génie con” et le force à se refaire le nez. Il écrit pour d’autres (“Plus bleu que le bleu de tes yeux” pour Piaf, “Je hais les dimanches”, refusée par Piaf mais adoptée par Juliette Gréco) mais n’a aucun succès comme interprète et se voit affublé du sobriquet peu flatteur d”‘enroué vers l’or”.
Triomphe à New York
La donne change au milieu des années 50 avec le succès de “Sur ma vie” (1954) et des passages à la célèbre salle de concert parisienne L’Olympia. Au cinéma, il tourne avec François Truffaut pour “Tirez sur le pianiste” en 1960, l’année de sortie de “Je m’voyais déjà”, l’une de ses plus fameuses chansons.
En 1963, Aznavour triomphe au Carnegie Hall de New York et, devenu une vedette internationale, se lance dans une tournée mondiale. Il se rend alors pour la première fois en Arménie. Deux ans plus tard, il monte l’opérette “Monsieur Carnaval”, d’où est tirée “La bohème”. Et en 1968, il épouse en troisièmes noces une Suédoise, Ulla Thorsell.
Dans les années 1970, Aznavour se frotte à des thèmes de société dans ses chansons: “Mourir d’aimer”, tirée du film du même nom et inspirée par le suicide d’une enseignante en 1969 après une liaison avec un élève, ou “Comme ils disent”, qui évoque l’homosexualité.
Les plus grands artistes reprennent ses chansons: Ray Charles chante “La Mamma” (écrite par Aznavour avec Robert Gall, le père de France Gall), Fred Astaire “Les Plaisirs démodés” et Bing Crosby “Hier encore”.
Il poursuit aussi sa carrière au cinéma, avec notamment “Le Tambour”, de Volker Schlöndorff (1979) ou “Les fantômes du chapelier” de Claude Chabrol (1982).
En 1988, il vient en aide à l’Arménie, meurtrie par un tremblement de terre, fonde le comité “Aznavour pour l’Arménie” et écrit le texte de la chanson humanitaire “Pour toi Arménie”.
En 1991, il partage la scène à Paris avec son amie Liza Minnelli et, en 1995, rachète les éditions musicales Raoul Breton (Piaf, Trenet, puis, plus tard, Linda Lemay).
Quand d’autres songent à la retraite, lui continue d’enchaîner disques, livres de souvenirs et concerts à travers le monde.
“Je n’ai jamais, jamais prononcé le mot adieux!”, s’emportait-il en 2011, avant d’entamer une série de 22 concerts à l’Olympia pour ses 87 ans.
Sur scène, il impressionnait par sa vitalité intacte et ne faisait que quelques concessions à l’âge : un prompteur pour pallier les trous de mémoire, un fauteuil pour les coups de fatigue, sur lequel il reposait plus souvent en septembre pour ces dernières représentations au Japon après s’être fracturé un bras cet été.
Dans l’une des chansons, “J’abdiquerai”, Aznavour évoquait la mort en s’amusant ironiquement de son statut de monument de la chanson: “S’il me reste encore un beau spectacle à faire/Un bel enterrement flatterait mon ego”.