En résidence, nomades, voire tournants. Les chefs ont désormais la bougeotte. Ils cuisinent aux quatre coins de la France, et parfois du monde, pour concocter des expériences qui ne se saisissent qu’une seule fois. Tel le concert d’une star de la pop, on vient participer à un événement qui autorisera ensuite à lancer un “j’y étais”. On vous explique ce phénomène qui prend de l’ampleur.
Maroon 5 au Main Square Festival à Arras, Aya Nakamura et Robbie Williams aux Vieilles Charrues à Carhaix, mais aussi Billie Eilish à Rock en Seine… L’été s’annonce sous les étoiles pour les amateurs de bons sons qui passeront une tête dans les festivals de musique français. Mais les stars ne seront pas les seules à partir en tournée. Les chefs aussi ! Le restaurant n’est plus un lieu figé et unique. Certains cuisiniers décident désormais de dégainer leur nécessaire à couteaux dans des lieux qu’ils n’ont découverts que quelques jours auparavant et où ils ne resteront que quelques semaines, au mieux quelques mois. Bienvenue dans l’ère des chefs nomades. Le phénomène n’est pas nouveau, mais tout s’est accéléré lorsque la crise sanitaire a forcé les restaurateurs à repenser leur façon de travailler au moment des confinements. Jadis, on a beaucoup parlé des chefs à domicile, désormais les cuisiniers ont la bougeotte pour investir des fourneaux aux quatre coins de la France. Dans la dynamique de cette cuisine starifiée, ces chefs qui ne tiennent pas en place font des apparitions ici et là, de la même manière qu’une star de la musique. Et les foodies doivent être réactifs pour réserver leur table.
Pourquoi les expériences culinaires éphémères marchent ?
Ces tables ont chacune une bonne raison d’attirer les gastronomes. Et c’est en cela que le phénomène a pris de l’ampleur au cours de ces deux dernières années. Tel un monument du rock, un chef peut ainsi créer l’événement en revenant sur la scène culinaire. C’est le cas de Claire Vallée, dont le restaurant ONA, situé en Gironde, a été le premier restaurant étiqueté vegan à recevoir une étoile Michelin. La cheffe a officialisé la fermeture de sa table en début d’année et a longtemps entretenu le mystère autour de ses futurs projets. Elle revient, mais à Paris cette fois, uniquement jusqu’au 23 juillet, par le biais d’une table d’hôte dite confidentielle. C’est une expérience à plusieurs égards qui est réservée aux clients. D’abord, l’adresse n’est indiquée qu’au dernier moment de la réservation et de la confirmation. Le prix est aussi un indicateur quant à la valeur de l’expérience. Compter 280 euros, sans les boissons, pour découvrir la nouvelle prise de parole culinaire entièrement végétale, composée sur le thème du voyage. Le menu s’appelle Til, signifiant “vivant” en sumérien.
Le chef danois du meilleur restaurant du monde a fait du concept du pop up un véritable business, sinon un formidable outil de communication. Depuis près de dix ans, René Redzepi exporte le Noma jusqu’à Tulum, au Mexique, en passant par New York ou Tokyo, au Japon. Le tout dernier projet éphémère de ce cuisinier très adulé s’est déroulé durant dix semaines à Kyoto. Toutefois, Redzepi n’est pas le seul à ouvrir des tables aux quatre coins du monde. Le collectif WE ARE ONA, fondé par Lucas Pronzato, en a fait sa marque de fabrique, enchaînant les expériences gastronomiques depuis Bâle, en Suisse, jusqu’à Los Angeles, aux Etats-Unis. Surtout, les dîners sont orchestrés dans des lieux insolites comme une plage, un musée ou un atelier d’artiste… WE ARE ONA est à la gastronomie ce que le producteur Cercle est à la musique en organisant des concerts hors norme en face des pyramides de Gizeh ou tout en haut de l’Aiguille du Midi, à Chamonix.
A l’exact opposé, on peut aussi avoir envie de réserver ce type de table parce qu’elle offre l’opportunité de déguster la cuisine d’un chef d’habitude financièrement difficile d’accès. C’est le cas de Julien Dumas, qui a élaboré la carte du restaurant éphémère du musée Carnavalet – Histoire de Paris, baptisé Fabula. L’ex-toque du restaurant Lucas Carton, désormais aux commandes des cuisines du Saint James, a pensé une expérience qui démarre à 12 euros pour les entrées et à 20 euros pour une viande ou un poisson. La carte est complétée par les cocktails ultra-millimétrés du meilleur mixologue du monde, Rémy Savage. C’est aussi l’opportunité de goûter à la cuisine d’une cheffe comme Valentine Davase, qui ouvre à la rentrée sa première affaire – à la Brasserie des Arts, et qui pendant l’été signera la carte d’un restaurant éphémère dans les vignes provençales du domaine du château de la Martinette.
Des incubateurs de talents
Et puis, pour une catégorie de foodies, qui sont davantage des “chasseurs de restaurants”, ces tables sont en réalité de véritables bons plans. Parce qu’elles leur offrent l’occasion de déguster avant tout le monde au talent de cuisiniers qui n’ont pas encore “percé”. Emprunter le vocabulaire du show business musical n’est pas fortuit… Au début des années 2010, deux fous de “food” Sophie Cornibert et Hugo Hivernat lancent ce qui deviendra à Paris un véritable incubateur de chefs. L’adresse s’appelle Fulgurances et voit passer la très respectée Céline Pham, la cheffe anti-gaspi Chloé Charles ou encore Tamir Nahmias. Depuis plus d’une décennie, le repère entretient sa réputation de table où les seconds deviennent les premiers. C’est d’ailleurs le thème de sa nouvelle session de dîners, qui sera inaugurée par l’Uruguayen Nazareno Mayol. Le chef qui ne tient pas en place cuisinera aux côtés de son mentor, le chef étoilé David Toutain.
Mais il n’y a pas qu’à Paris que l’on déniche les nouvelles pépites de la cuisine. Depuis 2016, à quelques pas des arènes d’Arles, le Chardon fait valser tour à tour les talents. Fondée par le trio bien connu des papilles marseillaises, Laura Vidal, Harry Cummins et Julia Mitton, cette table qui ne paye pas de mine vue d’extérieur sert une cuisine engagée, tant dans l’assiette que dans le verre. Surtout, c’est une bonne adresse pour découvrir le talent de chefs venus de tous horizons. Cet été, elle a confié les clés de ses fourneaux à l’Anglais Daniel Morgan, qui a fait ses classes auprès du chef écossais Gordon Ramsay et s’est construit une signature en voyageant depuis l’Inde jusqu’en Colombie.