Pour Carine Lilliu, responsable Mécénat et Partenariats au Mudam, un partenariat entreprise-musée, qu’il soit pécuniaire, matériel, humain en nature ou dédié à la recherche, a pour but ultime d’instaurer une relation de confiance, stable et pérenne entre une institution muséale et ses mécènes. Une collaboration gagnant-gagnant qui ancre les deux parties dans la société civile.
Par Marc Auxenfants
Carine Lilliu, quelles sont les principales sources financières du Mudam ?
Le musée reçoit un important soutien du ministère de la Culture, qui lui permet d’assurer notamment ses frais de fonctionnement et de personnel. Pour financer son programme et ses missions, il dispose aussi de ses propres sources de revenus, dont les activités liées à la boutique et la billetterie notamment.
Pour augmenter et diversifier le financement de ses projets, le musée recourt aussi au mécénat et à des partenariats stratégiques avec les entreprises, les particuliers et les fondations. Le mécénat représente 8% de notre budget. Ce qui est peu finalement, mais nécessaire. Toutefois notre modèle économique correspond à ce qui se pratique en France, aux États-Unis ou en Angleterre, contrairement aux autres musées luxembourgeois dont le financement est quasi-intégralement assuré par le ministère de la Culture.
Concrètement, comment fonctionne le dispositif du mécénat ?
Avec les entreprises, le musée conclut une convention de partenariat, pour une ou plusieurs années qui définit l’attribution du soutien vers le musée ou vers un projet spécifique tel qu’une exposition par exemple. La convention règle les engagements et les contreparties de chacun, le type de soutien et son montant. Elle comprend aussi des articles plus généraux relatifs à la protection des données, à l’utilisation de l’image, au risque réputationnel. Nos conventions de partenariat intègrent des articles liés au code de déontologie du Mudam. Elles précisent notamment que l’utilisation des fonds alloués par le mécène reste à la seule discrétion du musée en concordance avec le projet choisi. Les principes de notre indépendance y figurent également. Toutefois, les entreprises peuvent y insérer des clauses garantissant le respect de leurs valeurs cependant elles doivent s’accorder avec les nôtres.
Qui sont vos entreprises mécènes ?
Il s’agit principalement d’entités du secteur financier (banques et assurances), de cabinets d’avocats, d’entreprises de construction et de services. Nous recevons aussi le soutien de fondations et d’œuvres philanthropiques. Les particuliers sont également importants pour le musée et nous nous attachons à développer nos relations avec eux. Certains de nos partenariats historiques remontent aux débuts du musée, en 2006. La piste des fonds européens est également à l’étude et pourrait nous permettre le développement de projets de plus grande envergure.
Pour quelles raisons choisissent-elles le mécénat ?
Les entreprises au Luxembourg s’y intéressent depuis de nombreuses années. Un véritable engouement existe de leur part à soutenir les questions philanthropiques et sociétales. Et la culture tient une place importante dans leurs réflexions. Ces stratégies visent à renforcer leur visibilité sur le territoire national, à mieux engager leurs salariés et leurs clients. Elles sont souvent présentes dans les départements RH, Marketing, Communication et au niveau de leur direction.
Mon rôle consiste donc à comprendre et connaître ce triptyque entreprise-employé-client, afin d’écrire une histoire singulière entre le Mudam et notre partenaire. Trouver l’équilibre entre nos besoins et ceux de l’entreprise est selon moi la clef d’un partenariat réussi.
Quelles contreparties leur offrez-vous et sous quelles formes ?
Les avantages que nous proposons à nos partenaires sont liés à trois axes. Accès à l’art : entrée gratuite au musée, visites guidées, invitations aux événements culturels du musée par exemple. Visibilité garantie ensuite : le partenaire est remercié dans nos publications, sur un mur de donateurs à l’entrée du musée. Nous essayons aussi de créer des moments de communication comme l’annonce du partenariat, la signature d’une convention, le démarrage d’une exposition soutenue.
Le troisième axe, enfin, correspond aux avantages privilégiés liés à la privatisation de nos espaces avec des tarifs avantageux pour l’organisation de soirées pour les collaborateurs ou les clients (cocktail, dîner assis, conférence). L’entreprise bénéficie aussi de remises sur les articles et publications de la boutique. Les contreparties liées à ces trois axes intègrent toujours ce triptyque.
L’entreprise peut ainsi communiquer en interne et externe sur ces bénéfices et actions et en tirer une certaine fierté. Pour nous, ce sont de véritables ambassadeurs qui relaient positivement notre mission ! Un partenariat avec une entreprise n’est pas qu’une simple transaction financière. Chaque histoire est unique et écrite ensemble.
Quels sont les montants alloués par les entreprises mécènes ?
De 10.000 à 100.000 euros pour une année d’un soutien. Et de 25.000 à 100.000 euros pour une exposition.
Quel est pour vous l’objectif le plus important dans ces partenariats ?
Nous donner les moyens d’atteindre nos objectifs liés à notre mission, et développer nos ambitions… Tout en gardant notre indépendance bien sûr. En tant que musée, nous avons certes besoin de soutien, mais nous ne pouvons pas servir de faire valoir aux mécènes. Un partenaire n’a pas le droit de nous imposer des œuvres dans nos expositions, ni même de nous dicter comment organiser ou agencer celles-ci. Notre mission première reste prioritaire : collectionner, conserver et présenter l’art contemporain le plus pertinent de notre époque et le rendre accessible à un large public.
L’éthique est aussi un principe important : ainsi les entreprises d’armement, impliquées dans le travail des enfants et aux pratiques contraires à des valeurs humaines, n’ont pas leur place parmi nos mécènes ! Nous portons également une grande attention à l’inclusion du genre et à la durabilité, dans les valeurs entrepreneuriales de nos partenaires. Et si le mécène enfreignait nos règles déontologiques, ou bien portait atteinte à notre indépendance, nous pourrions être amenés à revoir cette collaboration, à y mettre un terme, voire à retourner l’argent.
Outre l’aspect financier, quel bénéfice le Mudam peut-il tirer du mécénat avec une entreprise ?
Tout d’abord, une certaine fierté d’avoir été soutenu par un groupe de renom. Et au-delà de l’entreprise, ce sont des êtres humains – décideurs, collaborateurs ou clients – qui représentent autant de personnes que nous pouvons intéresser à l’art ou faire venir à la culture. Et autant d’ambassadeurs et de promoteurs potentiels de notre musée et de nos événements. Recevoir le soutien, par exemple d’une banque – qui compte 2.000 employés ou plus, et de nombreux clients – représente donc pour nous une réelle plus-value. Ces mécénats nous permettent aussi de nouer des contacts directs et informels avec ces visiteurs. Autant de rencontres, de discussions et d’échanges dont je me nourris. Ces partenariats sont donc importants pour notre ancrage dans la société civile.
Le mécénat est-il uniquement financier ?
Il peut être humain, matériel, en nature ou dédié à la recherche. Pour l’exposition du peintre néo-minimaliste américain Peter Halley débutant fin mars 2023 par exemple – que Banque Degroof Petercam sponsorise financièrement – Cargolux transporte pour nous les œuvres provenant des États-Unis grâce à un partenariat stratégique. Le cabinet d’avocats Allen & Overy finance lui un poste de recherche en CDD. Le travail de la chercheuse actuelle est d’identifier les œuvres numériques et vidéos que le Mudam pourra acquérir. Le montant du mécénat est alloué au salaire de la chercheuse et à l’achat de l’œuvre. Une autre forme de partenariat consiste à soutenir des événements organisés par des mécènes. Ainsi, nous collaborons avec le Groupe Bâloise depuis 2015 dans le cadre du Prix Baloise Group. Chaque année, le jury dont nous faisons partie récompense deux jeunes artistes présentés dans la section Statements de la foire Art Basel en Suisse. En tant que partenaires, nous exposerons le lauréat au Mudam et ferons l’acquisition d’une de ses œuvres, qui rejoindra ensuite notre collection.
Bien au-delà d’une simple transaction financière, je vois avant tout mon métier comme une longue discussion basée sur des valeurs communes, culturelles et sociétales où on apprend à sa connaître, à se plaire et à avancer sur la route ensemble. Un peu comme un couple ! J’identifie leurs besoins, conformément à nos missions, à nos objectifs et à notre éthique. Le but ultime est d’instaurer une relation de confiance, stable et pérenne avec nos mécènes, et aussi de pouvoir leur offrir des contreparties avantageuses en échange de leur soutien en faveur des publics et de la créativité.