Ancienne institutrice puis cheffe d’entreprise dans la petite enfance, Barbara Agostino se réinvente en foraine. À la tête de Kugener Sàrl, elle dirige aujourd’hui un restaurant emblématique de la Schueberfouer. Détermination, héritage familial et goût du défi l’ont guidée vers cet univers exigeant, où elle fait briller la place des femmes.
Rédaction : Maria Pietrangeli
Qu’est-ce qui a motivé votre reconversion professionnelle ?
Ma reconversion professionnelle a été motivée par plusieurs facteurs. D’abord institutrice, j’ai ensuite créé et dirigé des crèches, développant ainsi des compétences en gestion et en leadership.
Mes racines personnelles ont aussi beaucoup compté. Ayant grandi dans un café-restaurant familial, j’ai toujours été fascinée par les femmes évoluant dans des milieux masculins. Les foraines, notamment, m’ont profondément inspirée : un univers exigeant, largement masculin, riche en défis.
Leur courage et leur détermination m’ont donné envie de me lancer dans un secteur stimulant, où je pouvais m’épanouir pleinement. Mon parcours reflète à la fois une continuité avec mes expériences passées et une volonté d’explorer de nouveaux horizons, guidée par mes valeurs et mes inspirations.
Pendant combien de temps avez-vous dirigé des crèches, et qu’est-ce qui vous a poussée à tourner la page ?
J’ai dirigé Barbara Sàrl pendant neuf ans, de sa création en 2010 à sa cession en janvier 2019. Mon objectif était personnel : fille d’immigrés italiens, je voulais prouver qu’on pouvait réussir sans appartenir aux cercles établis du Luxembourg. J’ai décidé de vendre quand ma fiduciaire m’a présenté une offre que je ne pouvais refuser. Pour moi, une entreprise se vend à son apogée, quand elle continue de croître mais a atteint son plein potentiel. C’était le bon moment pour ouvrir un nouveau chapitre.
Quel était votre objectif principal en créant votre nouvelle société ?
Mon objectif principal en créant ma nouvelle société était de démontrer que la volonté peut surpasser les compétences innées. Je suis convaincue que l’on peut apprendre, évoluer et se former continuellement, à condition d’avoir un objectif clair et une envie indéfectible de réussir. Pour moi, la détermination et la persévérance sont des moteurs essentiels qui permettent de surmonter les obstacles et d’atteindre ses objectifs, peu importe les compétences initiales.
Quelles sont vos principales activités aujourd’hui ?
Aujourd’hui, notre activité se concentre sur plusieurs événements majeurs. Nous participons au marché de Noël – six semaines de novembre à janvier, suivies d’une pause de trois mois pour l’entretien du matériel. Nous sommes ensuite présents à l’Octave (Mäertchen), à la Fête Nationale sur le Glacis (jusqu’à 20 000 visiteurs), au Kinnekswiss (trois jours de concerts), ainsi que pour l’afterwork de la fête du personnel de la Ville de Luxembourg. Enfin, la Schueberfouer représente notre plus gros engagement : trois semaines d’ouverture, trois à quatre semaines de montage dès fin juillet, et quatre jours de démontage. À cette période, notre équipe passe à 130 personnes.
Quelles sont les difficultés majeures que vous rencontrez en tant qu’entrepreneure ?
En tant qu’entrepreneure, l’une des difficultés majeures auxquelles je suis confrontée est la lourdeur administrative croissante. Bien que l’on parle souvent de simplification, je constate plutôt une complexification des démarches. Le temps consacré aux procédures bureaucratiques nous éloigne de notre cœur de métier et de nos équipes. Par exemple, l’enregistrement d’une simple facture dans le système Peppol peut prendre un temps considérable. Pour réellement accompagner la transformation numérique, il est essentiel d’alléger ces processus afin de nous permettre de nous concentrer sur les aspects fondamentaux de notre entreprise.
Pourquoi avoir racheté ce restaurant en particulier ?
J’ai choisi de racheter ce restaurant en particulier car, parmi plusieurs établissements en vente sur le site de la Schueberfouer, j’avais une conviction : je souhaitais reprendre le restaurant d’une femme.
“Parmi plusieurs établissements en vente sur le site de la Schueberfouer, j’avais une conviction : je souhaitais reprendre le restaurant d’une femme.“
– Barbara Agostino
Celui de Manon Schmit, qui l’a dirigé pendant 25 ans, s’est imposé comme une évidence. Pour moi, c’était une manière de faire perdurer la place des femmes dans un monde souvent très masculin.
Si vous pouviez revenir en arrière, referiez-vous les choses différemment ?
Si je pouvais revenir en arrière, je referais certaines choses différemment. Dès mon enfance, j’avais une passion pour démonter des vélos et des skateboards, et à huit ans, je possédais déjà ma propre caisse à outils, alors que mes amies jouaient à la poupée. Mon rêve était de devenir mécanicienne.
Cependant, dans ma famille italienne, ma mère m’a rapidement fait comprendre qu’une fille n’avait pas sa place dans un garage. J’ai donc choisi une voie plus « acceptable » et me suis orientée vers la pédagogie.
Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui veut se lancer dans cette activité ?
Pour quelqu’un qui souhaite se lancer dans cette activité, je conseillerais de développer une grande capacité d’adaptation, surtout en tant que forain. Les imprévus sont constants : problèmes électriques, pannes de machines, problèmes sanitaires… L’activité est rentable uniquement pendant les événements, donc rien ne doit tomber en panne. Il est essentiel de garder son sang-froid. Gérer 130 salariés sur un site mobile, avec toutes les responsabilités que cela implique, salaires, stocks, sécurité, licences, c’est un vrai défi.
Par exemple, l’accès à l’alcool est strictement sécurisé pour prévenir les vols ou les tentations. Il faut aussi savoir gérer les tensions : clients difficiles, employés stressés… Et tout cela, je le fais pendant mon temps libre, car je suis aussi députée. Quand les autres se reposent, moi, je fais tourner l’entreprise.
Que signifie la réussite pour vous aujourd’hui ?
Pour moi, la réussite aujourd’hui signifie voir des familles heureuses et des clients qui passent un bon moment pendant que je travaille. C’est ma plus grande satisfaction : leur plaisir est ma réussite.
Un rêve ou un souhait pour les mois à venir ?
Mon rêve pour les mois à venir est que la Schueberfouer reste longtemps une fête populaire accessible à tous. Dans un contexte où le surendettement progresse, j’aimerais que même les familles les plus modestes puissent continuer à y passer de belles soirées. C’est à nous, forains, de veiller à ce que cette fête nationale reste ouverte à toutes les couches de la population.
Interview initialement publiée dans le Femmes Magazine numéro 267 de juin 2025.