Par Cadfael
Depuis sept ans la justice et la politique portugaise sont empoisonnées par diverses méga-affaires de corruption dont une des plus importantes avec un nom de code « Marques ». Elle tourne autour de José Socrates, ancien premier-ministre socialiste et Ricardo Salgado, ancien propriétaire de Banco Espirito Santo, banque faillie, avec holdings à Luxembourg.
Le jour le plus noir de la justice
Tel était le titre de la première page de l’hebdomadaire « Sol » de samedi dernier. Enquêtant sur un réseau opaque de sociétés et d’intermédiaires dont des anciens ministres, administrateurs de sociétés, hauts fonctionnaires, banquiers, avocats en lien avec des contrats où l’état était directement ou indirectement impliqué, le « Département Central d’Enquêtes et d’Action Pénale », relevant directement du Procureur Général, a monté un acte d’accusation impliquant 28 accusés et 189 chefs d’accusation sur 6728 pages.
Il y est question d’opérations en relation avec Telecom Portugal, le groupe Lena, BTP, des achats de propriétés de luxe en Algarve via la Caisse Générale des Dépôts portugaise ou d’opérations portant sur une multinationale portugaise. D’autres procès sont à venir concernant Electricité de Portugal ou du volet portugais de l’affaire Odebrecht, BTP, dont les dessous de tables internationaux ont fait l’objet d’une enquête américaine couvrant Amérique latine. Sans parler de l’affaire concernant Banco Espirito Santo de Ricardo Salgado, un amalgame invraisemblable de réseaux et de complicités criminelles.
Toutes ces affaires dont les montants portent sur des centaines de millions d’euros ont failli ruiner l’état portugais.
Un juge d’instruction bizarre
Le juge nommé pour valider ou invalider l’acte d’accusation du Ministère Public, Ivo Rosa, s’était déjà fait remarquer en libérant des membres d’un gang armé s’étant attaqué à une centaine de distributeurs de billets et une autre fois, un marocain accusé de terrorisme et de recrutement pour Daesh.
Il convient de souligner que Socrates fut mis en détention préventive le 21 novembre 2014 pour fraude fiscale, blanchiment de capitaux et corruption. La prison préventive dura 288 jours se transformant ensuite en résidence surveillée. Le 11 octobre 2017, trois ans après, il a accès à l’acte d’accusation.
Un show médiatique destructeur
La lecture des conclusions du juge Rosa, vendredi dernier, était diffusée en direct sur toutes les chaines nationales. Elle a provoqué un tollé politique. Une pétition demandant sa destitution avait atteint 150.000 signatures 48 heures après sa prestation. Le juge a qualifié l’acte d’accusation de spéculation, de fantaisiste, d’incohérent lui reprochant de manquer de rigueur. Il a anéanti les années de travail des services du Procureur général. Il a éliminé des écoutes téléphoniques, des extraits bancaires, il a refusé de considérer un montant de 36.003.000 euros comme élément de fraude fiscale qualifiée.
Résultats de ce blanchiment juridique : sur vingt-huit prévenus il en reste cinq, les autres, hauts fonctionnaires, ex- ministres, administrateurs, avocats, entrepreneurs, épouses ….sont blanchis, le miracle de Pâques. Les 189 points d’accusations ont fondu comme neige au soleil, il n’en reste plus 17.
Sur les 31 points d’accusation concernant Socrates il en demeure 3 pour blanchiment et 3 de falsifications de documents.
Salgado perd 18 des 21 chefs d’accusation. Ses crimes concernant la corruption, les faux, la fraude fiscale se sont envolés, il ne reste que l’abus de confiance. On lui reproche l’appropriation indue de 10 millions, une broutille par rapport au prochain procès qui l’attend celui de l’ « Univers Espirito Santo » où l’acte d’accusation mentionne 65 crimes dont association criminelle, corruption active, falsification de documents, fraude qualifiée, manipulations de marchés, blanchiment…
Le juge Rosa a en même temps ordonné la levée de la séquestre des biens immobiliers dont un appartement à Paris, cadeau d’un l’ex-ministre inculpé à son ami Premier ministre, de comptes bancaires, de véhicules et autres biens. Il en va de même de la demande d’indemnisation de 58 millions à payer à l’état portugais par les accusés.
Les services de la Procureure Générale de la République ont mis quatre procureurs sur un recours contre la décision de Rosa.
Une césure du système ?
Ce procès est considéré comme un des plus importants de l’histoire portugaise en matière de lutte anti-corruption, d’exemplaire il s’est transformé en une déroute politique et juridique. Un juge d’instruction a manifestement dépassé ses compétences et a tenté de détruire une enquête. Les réactions de la coalition de gauche au pouvoir en disent long, le premier ministre est quasi silencieux, les socialistes des rangs desquels Socrates est issu sont étrangement calmes, le bloc de gauche pense qu’il faut reformer la justice, le parti communiste ne pipe mot. Marcello Rebelo Sousa, le médiatique président de la République refuse tout commentaire. Il est fort à parier que la classe politique se dirige vers une crise lourde aux conséquences multiples.
Un commentateur politique ancien ministre démocrate-chrétien et avocat, a clairement souligné que le message donné par Rosa est qu’ « il existe une classe de gens qui sont intouchables et que les corrompus ne sont pas condamnés. Il a renforcé une conviction ancrée chez le citoyen portugais qu’il existe une espèce de fatalité face à la corruption qu’au quotidien la presse dénonce et qui deviennent ensuite des affaires « prescrites ».