Samedi 17 septembre, 18h, le téléphone sonne. Anne-Valérie Hash m’accorde un peu de son temps, avant de s’envoler à une soirée avec son mari et ses filles. Je devine, au bout du fil, l’effervescence du moment. Maman attentive, elle leur demande de mettre leurs manteaux. Moment de grâce que ces précieuses heures consacrées à sa famille. Et Anne-Valérie le sait mieux que quiconque. Après 13 années passées à la tête de sa maison de haute-couture, elle décide de poser les crayons. Sacrifier sa vie pour le monde de la mode? Anne-Valérie Hash a préféré les siens et la vraie vie. Rencontre avec une créatrice qui a choisi d’être d’abord une Femme.

Quand elle créé Anne-Valérie Hash, sa maison éponyme, en 2001, elle se retrouve parachutée dans la haute-couture. Le calendrier des défilés du prêt-à-porter était complètement booké, la Fédération la programme alors dans la précieuse semaine de la couture. Une opportunité formidable pour elle, qui, dès sa première collection, rompt complètement avec la vague porno-chic, alors portée à son paroxysme, avec des créateurs comme John Galliano. Quand la tendance hurle au sexy et au sulfureux, elle impose des lignes complètement nouvelles. Dans la lignée du Belge Martin Margiela, elle insuffle un vent de masculinité dans le vestiaire de la femme. Pour sa collection augurale, «Fillesmâles», la créatrice découd un pantalon pour en faire une robe. Une pièce forte, qui donne le La, et cristallisera le style Anne-Valérie Hash. «Mes clientes étaient des femmes ‘couillues’, pardon mais il n’y a pas d’autre mot. Aujourd’hui, elles s’habillent chez Comme des garçons.» Visionnaire? Éminemment. Anne-Valérie est une femme de paradoxe, en clair obscur. Végétarienne, elle épouse un boucher. Quand d’autres voient le Graal d’appartenir à la sacro-sainte haute-couture, en 2013, elle s’octroie le privilège de faire une pause. Un choix audacieux? «Je ne pouvais pas faire autrement, c’était une question de survie. La maternité a été un virage décisif. Gérer sa société est très difficile, et d’autant plus lorsqu’on est une femme. J’étais devenue la maman de tout le monde, sauf de mes filles.» Elle prend alors le risque de tomber dans l’oubli, dans un monde où les succès sont aussi fulgurants que les chutes sont dures. Parmi ceux qui la soutiennent, Didier Grumbach, alors président de la Fédération Française de la Couture, qui la conforte dans son choix, en lui disant que nombreuses sont les femmes à avoir fait une pause. Avant elle, Gabrielle Chanel avait osé.

Cependant, en 2014, son destin la rattrape et elle devient directrice artistique de l’enseigne Comptoir des Cotonniers. Une expérience très enrichissante, dans laquelle elle découvre la joie des contraintes, les impératifs marketing. «J’ai appris comment un produit devient un must have. La haute-couture est un laboratoire, un monde de privilèges, qui bénéficie d’une liberté totale. Cela dit, à l’époque, je vendais plus le prêt-à-porter que ma première ligne. Comme toutes les grandes maisons, d’ailleurs, qui vivent bien grâce aux cosmétiques et aux parfums.»

Son contrat avec Comptoir s’achève fin 2015, et lui donne enfin l’opportunité de se poser et de porter un regard sur sa carrière. Là naît un projet de rétrospective, qui prend forme grâce sa rencontre avec Sylvie Marot, la commissaire de l’exposition. Ensemble, elles inventent ce néologisme «décrayonner», qui condense la nature même du projet, tout en conservant une part incroyable de créativité. Inventer, se renouveler est toujours au programme de la créatrice. Elle dessine toujours, mais envisage une nouvelle vie. Tourner la page, sans renier son histoire. Et ainsi crayonner un nouveau chapitre. Et se recentrer sur l’essentiel: sa famille.

 

Crédit photo: Fabrice Laroche