Alejandro Amenábar est l’un des réalisateurs les plus talentueux de sa génération. Oscarisé pour Mar adentro, récompensé par un Golden Globe et onze Goya – l’équivalent espagnol des César – il a dirigé des stars comme Nicole Kidman, Penélope Cruz et Javier Bardem. De son premier film Tesis au chef-d’œuvre Les Autres, en passant par l’exceptionnel Ouvre les yeux, il explore le suspense, l’émotion et la quête de sens. Artiste complet, il compose également la musique de la plupart de ses films. Invité d’honneur du Luxembourg City Film Festival, il s’est confié à Femmes Magazine. Gentleman, ouvert et sans filtre, il évoque avec une sincérité rare son amour du septième art, son parcours et cette quête infinie de récits à raconter.

Rédaction : Alina Golovkova / Photo : Rafa Gallar

Vous avez d’abord réalisé l’extraordinaire Abre los ojos (Ouvre les yeux en français) en 1997, avec Eduardo Noriega et Penélope Cruz. En 2001, Hollywood en a fait un remake, Vanilla Sky, porté une nouvelle fois par Penélope Cruz, et Tom Cruise. Avez-vous une préférence entre les deux ?

Quand j’ai vu Vanilla Sky, j’ai ressenti un sentiment étrange… Comme si j’écoutais une chanson que j’avais écrite, mais interprétée par un autre. Je n’étais pas entièrement satisfait d’Ouvre les yeux, j’aurais aimé l’améliorer davantage. D’une certaine manière, Vanilla Sky a perfectionné certains aspects que j’aurais voulu retravailler. Mais les deux films ont leur identité propre, et je les apprécie chacun différemment.

Vous êtes né au Chili mais vous avez grandi à Madrid. Racontez-nous.

Mes parents ont quitté le Chili pour l’Espagne alors que je n’avais qu’un an et demi. Nous avons d’abord vécu dans un petit village près de Madrid, puis j’ai été envoyé dans un pensionnat religieux pour quelques années. Les weekends, je retrouvais la maison familiale en pleine campagne, au milieu des champs.

Quel enfant étiez-vous ?

J’étais un enfant solitaire passionné par les films, la lecture et l’écriture. Ma mère m’a particulièrement encouragé à m’occuper à la maison. Je pense que j’ai été beaucoup inspiré par cette période de ma vie pour réaliser le film Les Autres. Ma mère ne m’empêchait pas de voir la lumière du jour comme dans ce film bien sûr, mais mon univers d’enfant s’est principalement construit à l’intérieur.

Comment le cinéma est-il entré dans votre vie ? Vous avez raconté que voir Superman avait été une révélation.

Le premier film que je me souviens avoir vu au cinéma était le classique de Walt Disney, Blanche Neige. Je me souviens avoir été captivé par la sorcière. Ensuite, Les Dents de la mer m’a terrifié… et n’a pas arrangé ma peur de l’eau ! Puis est venu Superman. Ce qui m’a le plus marqué était la musique, qui m’attirait finalement plus que les films. John Williams était le compositeur de génie derrière les bandes originales des Dents de la mer et Superman. C’est alors que je me suis mis à collectionner les BO de films. La fusion entre musique et cinéma m’a fasciné et dans les années 80, j’ai plongé corps et âme dans le septième art.

Qu’avez-vous ressenti lorsque le succès est arrivé ? La passion était-elle toujours présente ?

Quand on rêve de cinéma, l’Oscar semble être la consécration suprême. Comme beaucoup, j’ai sans doute aspiré à cette reconnaissance. Quand cela s’est concrétisé pour moi, j’ai compris que l’essentiel était ailleurs : ce que j’apprécie le plus, c’est la connexion avec le public. Être capable de m’exprimer à travers mes films, d’expliquer quelque chose aux spectateurs et d’avoir leur intérêt, et pourquoi pas leur argent en retour – c’est pour moi ce qu’il y a de plus gratifiant.

« Une vie créative impose à un moment donné une remise en question, parfois on doit accepter qu’on n’a plus rien à raconter. »

– Alejandro Amenábar

Paradoxalement, le cinéma m’a aussi rendu plus humble. À l’université, j’étais convaincu que j’allais réussir, avec une certaine arrogance. Mais lorsqu’on se confronte à la réalité du métier et que les résultats ne sont pas toujours ceux espérés, l’humilité devient une leçon essentielle.

Qu’est-ce que le bonheur pour vous ?

Me sentir réalisé à travers mes films. Aujourd’hui, à l’aube de mes 53 ans – c’est ce qui donne du sens à ma vie.

Diriez-vous que c’est la mission de votre vie ?

Oui, absolument, c’est ce que je ressens aujourd’hui. Plus jeune, je m’imaginais avec une famille, un chien et bien sûr des films en toile de fond. Mais avec le temps, j’ai compris que je serais prêt à tout sacrifier pour le cinéma. C’est ma plus grande passion.

L’actrice germano-française Romy Schneider disait « Réussir, c’est être en contact avec le monde et communiquer sa passion. » Vous reconnaissez-vous dans cette phrase ?

Oui, c’est tout à fait cela.

Vous avez aujourd’hui réalisé vos rêves ?

J’ai eu la chance de commencer jeune et de connaître le succès très tôt. Même si cela peut paraître fou de l’énoncer ainsi – parfois je me dis que si je devais mourir demain, je partirais en paix. J’ai vécu intensément, j’ai raconté mes histoires. J’ai aussi compris qu’une vie créative impose à un moment donné une remise en question – parfois on doit accepter qu’on n’a plus rien à raconter.

Ce qui m’anime aujourd’hui, c’est le renouveau. Trouver une histoire inédite, une nouvelle façon de l’exprimer. C’est un défi exaltant, un vertige créatif qui me pousse à explorer de nouvelles voies.

Les Autres” réalisé par Alejandro Amenábar avec Nicole Kidman en 2001 ©Studiocanal

Si vous n’aviez pas été réalisateur, qu’auriez-vous aimé être ?

Un compositeur, sans hésitation (rires).

Un film que vous pourriez regarder inlassablement ?

2001, l’Odyssée de l’espace.

Interview initialement publiée dans le Femmes Magazine numéro 265 d’avril 2025.