Dimanche 15 août, les talibans prennent Kaboul et s’emparent du pouvoir en Afghanistan. Une onde de choc parcours le pays et laisse rapidement place à des scènes de liesse. Un aéroport prit d’assaut par les populations en fuite, des hommes accrochés aux avions, des coups de feu en l’air… Dans ce chaos, les femmes afghanes s’attendent à tout perdre, comme un retour 20 ans en arrière, où la charia les privait déjà de la totalité de leurs droits.

Par Alissia Lejeune

Retour 20 ans plus tôt. Entre 1996 et 2001, les fondamentalistes religieux sont au pouvoir en Afghanistan. Une période plus que sombre terrorisant des femmes oppressées par la charia. Une loi islamique particulièrement réductrice qui interdit aux femmes l’accès à l’éducation et au travail, les oblige à revêtir la burqua intégrale et à ne dévoiler leur visage sous aucun prétexte. Pis encore, se déplacer seule dans la rue est formellement interdit par le pouvoir en place. Une femme doit obligatoirement être accompagnée d’un chaperon “mâle” de la famille. Les punitions : flagellations, lapidations publiques, exécutions… Archaïques, violentes et terriblement répressives, ces pratiques n’appartiennent pourtant pas au passé et sont en passe de ressurgir d’un moment à l’autre dans un contexte politique chaotique.

Une acquisition de droits progressive

Le 6 décembre 2001, les talibans sont chassés du pouvoir par une coalition internationale, menée par les États-Unis. Un gouvernement est alors mis en place où le président Hamid Karzaï est élu président au suffrage universel. Une première dans l’histoire du pays. Les armées occidentales s’installent alors en Afghanistan pour contrer les insurrections des talibans et islamistes.

Ce nouveau régime et cette présence occidentale contribuent au développement du pays et peu à peu à l’acquisition de droits pour les femmes afghanes. Ces dernières, considérées comme des objets jusque-là, mariées de force, excisées, violées, commencent à imaginer un avenir meilleur grâce à l’accès à l’éducation. Elles commencent à suivre des études, à trouver du travail, à conduire ou même à se maquiller. Un geste qui paraît anodin dans nos sociétés, loin de l’être là-bas. Cela n’est valable que dans les grandes villes, les campagnes restant sous-développées, et il ne faut pas imaginer que tout cela s’est fait aisément et sans protestation. L’Afghanistan reste un pays très conservateur et patriarcal et il est coutume de se battre pour ses droits quand on est une femme, personne ne les sert sur un plateau d’argent.

Sur Instagram la graffeuse afghane Shamsia Hassani soutient les femmes opposées au régime taliban

Privées de liberté et d’avenir

L’arrivée au pouvoir des talibans fait craindre un retour en arrière dans l’acquisition des droits les plus basiques des femmes. Ces femmes qui travaillent dans le journalisme, dans l’art, la médecine ou encore l’enseignement, se préparent à tout perdre. Car une femme lettrée, indépendante et active, ce n’est absolument pas compatible avec la loi islamique. « Pour les filles, cette prise de pouvoir veut dire être empêchées d’étudier, ne plus avoir de droits civiques, ni même humains, comme tout être a le droit d’en avoir », craint la présidente afghane de l’ONG Learn, Pashtana Durrani.

Si les talibans assurent aujourd’hui que les petites filles pourront continuer d’aller à l’école, à condition de porter un hijab, les jeunes étudiantes craignent déjà pour leur avenir. « C’est un cauchemar pour les femmes qui ont fait des études, qui envisageaient un avenir meilleur pour elles-mêmes et les générations futures », déplore l’une d’elles à l’AFP.

Sur le plateau de France Info, la grand reporter Solène Chalvon-Fioriti exprimait ses profondes craintes quant à l’avenir des femmes actives en Afghanistan si elles ne sont pas évacuées : “Il y a des femmes qui sont traquées. Ce sont des femmes qui sont journalistes, juges, policières. Elles font ces métiers parce que nous avons donné de l’argent dans le développement. On a appuyé ces programmes à mort. Ce qu’il se passe c’est que l’on part, que l’on ne donne pas de visas, pas de possibilité à ces femmes de s’enfuir, c’est vraiment terrifiant”.

Une faille temporelle

Si la communication des talibans se veut “rassurante” quant au respect des droits des femmes, le scepticisme règne dans le monde. « Nous assurons la population, en particulier dans la ville de Kaboul, que leurs propriétés, leurs vies sont en sécurité », exprimait le porte-parole taliban Suhail Shaheen à la BBC. Seulement, le message est vite gâché lorsque l’on entend d’un autre porte-parole du pouvoir : « Nous avons le droit d’agir selon nos principes religieux. D’autres pays ont différentes approches, règles et règlements… les Afghans ont le droit d’avoir leurs propres règles et règlements en accord avec leurs valeurs ». Rassurant ? Pas le moins du monde.

Kaboul se réveille dans un autre monde

Déjà dans le pays les actions répressives se multiplient. Les publicités en ville où des femmes apparaissent sont repeintes à peinture blanche. Certaines Afghanes n’ont pas pu rejoindre l’aéroport faute d’accompagnement masculin, contraintes alors de rester au pays. La vie a reprit à Kaboul, une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Les écoles et universités restent fermées. Les femmes sont rares dans la rue. Quelques-unes, voilées, se sont rassemblées devant la zone verte pour demander le droit de retourner y travailler, en vain. La télévision d’État ne diffuse plus que des programmes islamiques enregistrés ou des rediffusions d’une série turque sur l’Empire ottoman. Les signes de modernité s’effacent tandis que la peur s’installe. Une peur de l’inconnu pour certains, une peur d’un retour en arrière pour d’autres.


« J’ai peur pour les femmes ou les filles qui ne peuvent pas parler, être représentées. Elles vont souffrir. C’est affreux de se dire qu’elles vont être mariées à un terroriste ou à un extrémiste qui ne conçoit pas qu’une femme soit aussi humaine qu’eux. » Pashtana Durrani, présidente de l’ONG Learn – pour CNN.